LE MEILLEUR DE TOUS LES IMPÔTS, C’EST LE PLUS PETIT
Financements
J’ai une première interrogation qui est statistique.
Lorsque l’impôt sur le revenu fut institué, juste avant la fin de la Première Guerre mondiale, jamais il ne s’était agi de le mettre au service de la justice sociale. L’idée de proportionnalité dominait ses inspirateurs. Il semblait normal qu’un bon citoyen contribuât à la hauteur de ses moyens. C’était, déjà, beaucoup demander à des familles dont la France, à elle seule, venait de subir quelque 7 millions de morts et de blessés, près de mille morts par jour sur les champs de bataille.
Mais, au-delà de cette juste contribution, des esprits, parmi de dévoués comptables publics, comme les comptables savent l’être, ou parmi les braves citoyens suspects de leurs voisins, jaloux de leur environnement, envieux du bien d’autrui, ne se sont plus limités à revendiquer la proportionnalité, mais en sont venus à préconiser la progressivité comme salut de la justice fiscale. C’est en son nom qu’on a alors cru que l’État allait pouvoir disposer d’une manne sur la richesse créée en France. Forgée à l’image de leurs auteurs, cette arme fut tout aussi tranchante qu’impuissante.
L’État s’est en effet égaré de ses missions régaliennes originelles, la justice, la défense du territoire, la sécurité intérieure, l’école et la santé, pour s’occuper d’une multitude de missions dont la politique de transferts, la réduction des inégalités et la redistribution sociale. Avec l’évolution des moeurs et l’ouverture des frontières, ces missions sont devenues des priorités politiques, car elles constituent des chances électorales. On a politisé l’impôt au lieu de le respecter comme indispensable outil de paix et de cohésion sociale. L’impôt, détaché de sa vertu, est ainsi devenu au cours du temps une arme de conflit et de discorde.
Hélas (cette interjection de 5 lettres mériterait sans doute une thèse de 1 000 pages), l’impôt ne permet plus une vie citoyenne décente. Ceux qui ne le paient pas représentent une masse de contribuables supérieure à ceux qui s’en acquittent. Il faut donc commencer à prendre un peu moins aux contribuables qui en sont redevables et un peu plus aux quelque 23 millions de foyers fiscaux qui en sont affranchis. Les comptes de la nation, eux qui ne mentent jamais, révèlent aussi que ce sont ces Français qui, en priorité, bénéficient des transferts sociaux et des dépenses publiques. Pour une société soucieuse de justice et de cohésion, il ne paraît pas anormal de réfléchir à un nouveau modèle, plus équilibré, définissant une bonne proportion entre contribution à l’impôt et bénéfice de la dépense publique.
Un équilibre doit être trouvé entre la stricte proportionnalité et l’inévitable progressivité au regard de l’extension des domaines de la dépense publique. Des niches doivent être repensées et, s’il y a des abus, supprimées.
Il faudrait, en 2025, quelque 250 milliards pour réduire avec dignité la pauvreté en France. Les a-t-on ? Evidemment, non. Nous en percevrons 125 milliards cette année. Un bon élève en arithmétique conclurait que, pour qu’il n’y ait plus de pauvres en France, il faudrait doubler l’impôt sur le revenu. Quel citoyen accepterait de subir un taux marginal d’imposition de 100 % ? L’esprit de l’impôt a perdu ses repères, pire, sa vocation. La France est sans doute devenue, en la matière, championne olympique, mais une championne qui perd ses athlètes. Du consentement on est passé à la contestation. Et quand la contestation s’enflamme, nul ne sait où elle peut conduire. Cessons de demander à l’impôt ce qu’il ne peut nous donner. Sans enrichir les pauvres, il appauvrit les riches. Tout impôt a un coût : il pèse sur l’initiative, l’investissement, la compétitivité, la légitime reconnaissance d’un travail bien fait. Le travail est une prière disait Péguy. Laissons nos travailleurs oeuvrer et prier comme ils l’entendent sans les écraser de taxes, de prélèvements et d’impôts destructeurs de richesse et de croissance. En prenant trop aux « riches », on diminue la richesse de la France. On a connu, jadis, dans l’histoire des doctrines économiques, des partisans d’un tel dessein. On les voit ressurgir aujourd’hui.
La seconde interrogation repose sur la double acception du concept de revenu. Le revenu, c’est d’abord une somme de ressources que nous percevons et, en notre qualité de titulaires de revenus, les écarts sont naturellement sources de fortes inégalités fondées non pas sur quelque injustice sociale, mais sur la capacité, le milieu vital, la motivation, la compétence, l’initiative, le risque. Donnons à tous cette chance. Que nous soyons différents les uns des autres est une évidence. Contrarier la nature des choses est une exigence douteuse et de mauvaise espèce.
Le revenu a une autre signification, lorsque nous considérons les individus comme utilisateurs de leurs revenus, les consommateurs de biens et services. Les écarts sont grands dans le premier cas. Ils sont bien plus petits dans le second. Qui n’a pas de portable ou d’iPhone ? Qui n’a pas de téléviseur ou d’appareil ménager ? Qui ne part pas en vacances ? Encore trop, mais bien moins qu’avant. La convergence des modes de consommation au cours des siècles a considérablement contribué à réduire les inégalités entre les individus. Elle a été un extraordinaire facteur de cohésion sociale. Un pauvre au XXIe siècle vit-il moins bien qu’un riche sous l’Ancien Régime ?
Une troisième et dernière interrogation, plus morale : sur quoi se fonde la notion de justice sociale ? J’attends depuis longtemps les réponses de Kant, de Descartes, de Pascal ou de Rawls. Réduire les inégalités par l’impôt est un objectif noble. Mais que vaut la noblesse lorsque notre liberté est en jeu ? Ce qui semble juste à l’un peut paraître injuste à l’autre. Une société paisible et prospère a-t-elle le droit, et au nom de quel droit, de dissuader la richesse ? Rechercher la paix avec l’impôt, c’est, à coup sûr, provoquer la guerre, les divisions des uns contre les autres, l’instabilité gouvernementale chronique, les déceptions personnelles et les insatisfactions sociales. Par l’impôt, tout le monde est perdant. D’abord les Français mais aussi la France.
L’érosion du consentement à l’impôt se généralise. Le citoyen ne se sent plus contribuable, mais client. Il a le sentiment de payer trop et de recevoir peu. Et lorsque les services publics se dégradent, quand l’impôt devient l’affaire d’une minorité, le contrat social se fissure. Cette dissociation affaiblit le lien civique et appelle à une fiscalité équitablement partagée, non pas par le haut, mais par le bas. Si la dépense publique profite à tous, l’impôt doit aussi être réparti entre tous.
Face aux besoins de redressement budgétaire, la tentation des hausses d’impôts n’est pas une solution viable. Tout le monde le sait en France. Mais les Français ont connu dans l’Histoire une curieuse capacité à s’engager dans des voies sans issue en toute connaissance de cause.
Les politiques sont suffisamment intelligents pour savoir qu’une solution d’aujourd’hui sera deux problèmes demain… mais demain n’est peut-être plus leur affaire.
Il est donc urgent de reconstruire la confiance fiscale par la transparence et une saine philosophie des valeurs. Chaque contribuable doit savoir ce qu’il paie, pourquoi et à quoi cela sert. Tant que la fiscalité restera complexe, concentrée, opaque et sujette à interprétations, elle alimentera méfiance et défiance. Quand on recherche l’égalité pour tous, on ne peut pas faire reposer le joug de la contribution sur quelques-uns.
La plus belle justice fiscale repose sur la généralisation de l’impôt, non plus sur la contrainte, mais sur l’adhésion, source de réduction de la pauvreté, de la libération des initiatives, et du fondement d’une société démocratique où la croissance profite à tous.
Ce n’est pas en nivelant les revenus que l’économie se renforce, mais en donnant à chacun les moyens d’agir et de réussir. La circulation des capitaux est aussi libre que la circulation des hommes. La tentation de fuir vers des zones de complaisance reste vivante. La France doit s’employer à séduire, plutôt qu’à contraindre.
Enfin, il serait temps de dépasser la seule dimension financière pour définir une vraie justice civique. La vraie justice civique repose sur l’engagement volontaire, la responsabilité individuelle et le respect des valeurs universelles. Une fiscalité excessive aliène la liberté. Mais la mobilisation des ressources humaines par l’engagement associatif, la solidarité, l’entraide, la bienveillance, la valorisation du patrimoine culturel offrent un levier puissant au service d’une société plus juste et d’une économie plus forte.
*L’égalité extrême devient inégalité extrême.
Platon, cité par Érasme, 2e adage.
Universitaire, Gérard Bekerman a débuté sa carrière comme assistant de Raymond Aron. Il a dirigé de 1991 à 2016 le Magistère Banque Finance de l’Université Paris 2 Panthéon-Assas. Il est aujourd’hui Président de l’Afer