Appréhender les fractures territoriales
Social & Démographie
Les territoires doivent relever un certain nombre de défis, plus ou moins marqués, compte tenu de leur histoire, leur situation géographique et leurs stratégies de développement : désertification médicale et accès aux soins, dysfonctionnements des services publics, vieillissement démographique, inégalités économiques et sociales, isolement des populations rurales, îlots de pauvreté au sein des villes, déficit de compétences, difficulté d’accès aux transports, transitions écologique et numérique…
Le constat est inquiétant : certaines métropoles concentrent l’essentiel de la croissance et de l’innovation, tandis que de nombreux territoires ruraux, villes moyennes ou quartiers prioritaires souffrent d’un déficit de compétences et d’emplois, d’une offre de services publics dégradée, voire d’un déclin démographique. Ces disparités alimentent un sentiment de relégation dans de nombreux espaces ruraux, périurbains ou quartiers populaires, et constituent un enjeu central pour la cohésion nationale. La désertification médicale, la fermeture de services publics ou la faiblesse des réseaux de transport accentuent ces écarts, nourrissant un sentiment d’abandon et de colère comme l’ont montré les récentes mobilisations sociales et les résultats électoraux. De fait, dans un souci d’équité et d’efficacité, le combat contre les fractures territoriales et sociales devrait être une question prioritaire. Il convient alors d’interroger les politiques publiques et leur efficacité, et de les réorienter dans certains cas.
Face à ces disparités, on a vu se développer une série de leviers d’action structurant la réponse publique, mais il faut bien le reconnaître, avec une efficacité toutefois limitée face à l’ampleur des défis que certains territoires connaissent.
- Le renforcement des services de proximité avec le développement du programme France services, lancé en 2019, pour garantir un accès pour tous et simplifié aux services publics essentiels (santé, emploi, famille, retraite, etc.) via un réseau de près de 2 840 espaces répartis sur le territoire.
- Des mesures pour lutter contre les déserts médicaux comme les mesures d’incitation pour favoriser l’installation des médecins, le développement des maisons de santé pluri-professionnelles ou celui des contrats locaux de santé.
- Le développement de transports publics totalement gratuits dans certaines communes où le niveau de vie de la population est trop faible pour permettre l’achat d’un véhicule individuel, de surcroît électrique, alors que la mobilité est un frein majeur pour l’accès à l’emploi et à la formation.
- Des politiques locales de mixité sociale à l’école fondées sur l’initiative de certaines municipalités avec l’appui de parents prêts à inscrire leur enfant dans les écoles publiques de quartier. Toutefois, cela reste très insuffisant dans un pays où l’origine sociale pèse très lourd dans les résultats scolaires, et où l’indice de position sociale des établissements publié par le ministère de l’Éducation nationale montre que les élèves de milieux modestes sont concentrés dans les mêmes établissements publics, dans des communes ou quartiers à faible revenu, venant ainsi renforcer la reproduction des inégalités territoriales d’éducation.
- L’accès à l’emploi et à la formation : des initiatives locales initiées par les communautés urbaines ou les communautés d’agglomération en charge du développement économique ont vu le jour, en partenariat avec les services de l’État, les régions, les OPCO, les centres de formation, les syndicats de salariés et les entreprises pour développer des formations spécifiques, adaptées aux besoins des entreprises et aux populations locales.
Pour être efficaces, ces politiques publiques doivent s’inscrire dans une politique globale d’aménagement du territoire au sens large, qui pense les infrastructures de transport, la construction ou la rénovation de logements, l’accès aux services publics et aux soins, ainsi qu’aux établissements de formation, et ce dans le respect de la transition écologique et énergétique. Une telle politique doit être menée sur le long terme, de manière déconcentrée, c’est-à-dire portée par les collectivités locales en partenariat avec les services de l’État, donc concertée, et avec les moyens nécessaires. Ce dernier point implique une péréquation financière renforcée. Cette politique globale doit s’appuyer sur un diagnostic territorial tenant compte de l’ensemble des réalités des territoires, mené par des chercheurs universitaires, et nourri par les analyses des syndicats – patronaux et de salariés – et des chambres consulaires, et enrichi du point de vue des habitants via des consultations citoyennes.
Pour ce qui concerne les politiques de transition énergétique et écologique, celles-ci doivent être pensées dans une logique d’équité, afin d’éviter que les territoires les plus fragiles ne soient pénalisés par des mesures uniformes. Cela suppose une concertation renforcée avec les élus locaux et un accompagnement spécifique des territoires en difficulté, soit le contraire de ce qui a été fait avec la loi sur les zones à faibles émissions (ZFE).
D’autres leviers de développement économique sont expérimentés par les territoires comme le tourisme, mais avec des limites dans l’accueil de nouvelles populations concentré sur une période très courte, l’installation des retraités qui présentent un pouvoir d’achat non négligeable et qui ont davantage de temps pour s’investir dans la vie de la cité, mais il faut alors anticiper la perte d’autonomie de cette population dans les années à venir et le développement des infrastructures qui en découle, la réindustrialisation en lien avec la transition énergétique qui implique une montée en compétences et l’accueil de populations qualifiées extérieures au territoire…
La réduction des fractures territoriales exige des politiques publiques ambitieuses, coordonnées et adaptées à la diversité des situations locales. Cela ne peut se faire que dans le cadre d’une stratégie globale d’aménagement des territoires et d’investissement dans les infrastructures, en partenariat avec les collectivités territoriales d’une part, et l’ensemble des acteurs locaux d’autre part (entreprises, élus, syndicats, associations…). Cela passe également par une action résolue sur les services de proximité, la santé, la mobilité, l’éducation, l’accès à l’emploi et la transition écologique, et une plus grande efficacité de la gouvernance locale. La concertation avec les élus locaux et les acteurs associatifs, ainsi qu’une évaluation régulière de l’efficacité des dispositifs, sont indispensables pour restaurer la confiance des citoyens et garantir l’unité du pays. Échouer dans la réduction des inégalités territoriales conduira inévitablement à la montée du vote populiste.