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Vivre avec Trump


Le retour de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis provoque une déflagration bien plus violente qu’en 2017. L’imprévisibilité, sa marque de fabrique, est cette fois exacerbée par une politique commerciale désinhibée et par un contexte géopolitique déjà fragilisé. 

Naturellement, chacun cherche des moyens de se rassurer. Les marchés s’accrochent à l’idée que Trump finit toujours par prendre peur, un phénomène que les traders ont commencé à intérioriser avec leur TACO trade (Trump Always Chickens Out). En Europe, d’autres caressent l’espoir que la brutalité trumpienne réveillera enfin les énergies nécessaires à une vraie autonomie stratégique permise par le regain d’intérêt des investisseurs et un sursaut institutionnel. 

Ces biais cognitifs ne doivent pas nourrir une complaisance dangereuse. 

D’abord, Trump tient à sa politique commerciale de rupture. Et il passe plus souvent à l’acte qu’il n’y paraît. Nos travaux au Centre de Géoeconomie de l’Atlantic Council montrent que sur les 26 menaces de tarifs énoncées depuis janvier, 12 ont effectivement donné lieu à des mesures concrètes. Cela signifie qu’une menace sur 2,13 se traduit par une décision réelle – une fréquence bien supérieure à ce que le ton erratique du président pourrait laisser penser.

L’administration Trump ne peut pas se passer des revenus qu’elle espère générer par ses péages douaniers. Le presque défunt département de l’Efficacité gouvernementale crée par Elon Musk n’a pas économisé grand-chose par rapport aux deux mille milliards promis. Les tarifs constituent donc un levier essentiel pour rassurer les quelques ‘faucons budgétaires’ dans la coalition républicaine qui maintiennent un certain poids au Sénat. 

Même si le blocage judiciaire contre l’usage des tarifs réciproques annoncés le 2 avril est confirmé, Trump pourra sans soutien du Congrès, imposer des droits de douane unilatéraux jusqu’à 15%. Il a aussi montré qu’il n’hésitait pas à instrumentaliser ses prérogatives sur la sécurité nationale pour cibler des secteurs clés pour l’Europe. Les entreprises devront également se prémunir contre la section 899 du Big Beautiful Bill (le projet de loi qui porte le budget). Celle-ci devrait octroyer au Trésor américain le pouvoir de rétorquer à des taxes jugées discriminatoires aux entreprises américaines. La France y sera quasi certainement ciblée du fait de sa taxe sur les services numériques. 

L’Union Européenne devra simultanément faire preuve de fermeté face à Washington tout en restant ouverte à toute coordination possible en matière de sécurité économique. En sus des tarifs, la nouvelle boîte à outils inclut les sanctions, le filtrage des investissements et les contrôles à l’export, notamment des puces suffisamment performantes pour l’intelligence artificielle. Dès son premier déplacement au Moyen Orient, Trump a montré qu’il était prêt à changer les règles pour des pays qu’il apprécie. Il peut aussi bien les resserrer pour les partenaires qui l’embêtent. 

La dette et les actifs du vieux continent retrouvent certes une attractivité relative. Mais ce n’est ni structurel ni stable. Les marchés ne feront toujours pas de cadeau aux pays à haut déficit. Pour un vrai sursaut européen, il faudra à la fois balayer devant sa porte et s’accorder sur un instrument financier commun. Cela dit, la France aura raison d’insister que le capital levé soit dédié à des fournisseurs européens. Il est nécessaire de bâtir une meilleure base technologique et industrielle de la défense européenne. 

Cela devrait même être possible sans trop brusquer Trump puisque les nouveaux objectifs otaniens impliquent une croissance marquée des dépenses militaires. Les états pourront toujours se servir de leurs budgets nationaux pour acheter américain, une condition essentielle pour s’assurer les faveurs du Président. Tout en veillant à leurs propres intérêts, les Européens devraient pouvoir entretenir la relation avec les Etats-Unis à coup d’engagements sur l’achat d’armes (y compris pour les donner à l’Ukraine) et de contrats gaziers. 

Espérons néanmoins qu’après Lisbonne quelques capitales supplémentaires penchent en faveur du Rafale.