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« Les institutions internationales rayonnent quand elles apportent les solutions concrètes »


Géopolitique

Pour la candidate à la direction générale de l’Unesco, les grandes institutions doivent engager des discussions avec la société civile pour élaborer des solutions partagées.

Affronter le choc des réalités, c’est le thème des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence 2025. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Gabriella Ramos Les Rencontres Économiques ont bien fait de mettre l’accent sur ce sujet, pour tenter de trouver un moyen de communiquer, d’exprimer son point de vue et d’écouter celui de l’autre. Refonder une discussion, civiliser un dialogue social respectueux, se confronter à une situation où l’on peut être d’accord sur les sujets majeurs : être conscient de la crise climatique, c’est sûr qu’il faut faire quelque chose sur l’enjeu démographique et la migration, et qu’il faut mieux gérer la révolution technologique. Bien sûr, il y a une question d’inégalité de revenus et d’opportunités, pas seulement entre le nord et le sud, mais aussi au sein des pays les plus avancés. Ces sujets existent dans le débat public, mais ils sont exploités de toutes parts par les politiciens. Nous vivons dans une société très polarisée, dans un débat politique stigmatisant, qui se nourrit des plateformes numériques et de l’intelligence artificielle.

Justement, face à cette polarisation de la société, comment regagner la confiance des citoyens en leurs institutions, notamment économiques, et retrouver une société apaisée ?

G. R. Il est très important d’écouter la société civile et d’engager une discussion avec elle et pas se contenter d’organiser un débat élaboré avec des experts. Les économistes ont tendance à avoir réponse à tout et à proposer des solutions sans prendre en compte le contexte, la situation des pays qui sont différents. Il faut s’éloigner du dogme « one size fits all » [une seule taille convient à tous]. Il faut trouver des solutions partagées qui soient efficaces. C’est cela qui me porte aujourd’hui, comme candidate à la direction générale de l’Unesco. Je pense que les institutions internationales rayonnent quand elles apportent les solutions concrètes et opérantes. J’ai travaillé sur l’éthique de l’intelligence artificielle. Il ne suffit pas d’avoir un débat philosophique, mais de démontrer à quoi ça sert : à améliorer la législation au Chili, à avoir des investissements sur la connectivité au Kenya, à regarder comment on protège les données.

Dans ce contexte, quel peut être le rôle de l’Unesco ?

G. R. Avant l’Unesco, j’étais à l’OCDE quand la crise financière de 2008 a éclaté. Celle-ci a remis en question le modèle de pensée néoclassique, selon lequel les marchés disposent de mécanismes autorégulateurs. Ce n’était pas représentatif du monde dans lequel on vivait. C’est pourquoi l’OCDE a créé, en 2012, l’initiative « Nouvelles approches face aux défis économiques ». Il s’agissait d’analyser les causes profondes de la crise financière mondiale et d’en tirer les leçons, sans dogme. À l’Unesco, on agit surtout sur la culture et l’éducation. Comprendre de quoi nos sociétés ont besoin, ce qu’elles veulent, notamment la jeunesse, comment faire avancer la question des femmes et comment développer une économie plus humaine avec des résultats à la clé, surtout pour les populations les plus démunies.

Quelles stratégies innovantes et inclusives recommandez-vous pour lutter contre la polarisation que vous décrivez, exacerbée par les réseaux sociaux et les médias, au détriment du dialogue rationnel ?

G. R. Je pense que les business model des plateformes numériques dans les systèmes d’information doivent se réformer. La manière dont on informe aujourd’hui joue un grand rôle dans cette polarisation. Il n’y a plus de questionnement, de nuance, d’esprit critique, car le business model est basé sur la maximisation de l’engagement, de l’utilisation des données ou la manipulation des émotions. Cela doit changer. L’Unesco s’est engagée à élaborer des règles claires pour les plateformes, qui pourraient être les mêmes que celles du monde des médias « d’avant », avec, par exemple, un comité éditorial, la transparence des signatures, afin d’être sûr de l’intégrité d’une information. Mais ce n’est pas la source du problème. Au fond, les réseaux sociaux ne sont qu’un instrument qui permet une diffusion exponentielle. La source, c’est la division de nos sociétés et la perception de beaucoup de nos concitoyens que le modèle économique, le libre marché, n’a pas donné de résultat à leur espoir. Tant qu’on ne traitera pas la question des inégalités, on ne pourra pas infléchir la polarisation.

Comment garantir que ces technologies soient déployées de manière éthique ?

G. R. Nous devons changer notre approche, qui est devenue surtout technologique. Il faut s’intéresser à l’algorithme, aux données, à l’intelligence artificielle générative. Il faut connaître tout cela. La question principale, c’est l’impact social de certaines utilisations des algorithmes. Nous n’allons pas contrôler l’innovation, tous les développeurs qui font des choses géniales. Mais si dans notre État de droit, qui doit exister aussi dans le monde numérique, il y a un impact négatif chez certaines populations, qui est responsable ? Cette question n’est pas technologique, mais politique. Nous devons, dans notre espace d’action, maximiser l’impact positif de ces outils et mieux nous protéger de ses dérives.

Quels rôles complémentaires peuvent jouer les institutions internationales pour reconstruire un dialogue social apaisé et renforcer la cohésion dans nos sociétés ?

G. R. L’intelligence artificielle redéfinit la manière dont on se connecte, dont on travaille. Un journaliste n’informe pas comme il y a dix ans ; un jeune architecte ne dessine pas non plus de la même manière. Pour appréhender ce type de transformation dynamique, il faut se donner un peu d’espace pour penser avec la société civile, les entreprises, les gouvernements, les ONG, la jeunesse, les groupes de personnes handicapées… Ces discussions doivent nous apporter plus de lumières. Je suis fière du travail que nous avons mené à l’Unesco sur l’intelligence artificielle. Beaucoup de pays n’avaient aucun espace pour structurer ce type de dialogue. Nous avons cette méthodologie : multidisciplinarité, mais aussi multisectorialité. Après l’avoir expérimentée, un ministre nous a remercié. Les institutions peuvent conduire cette révolution dans un objectif plus humain et de progrès ; un progrès partagé.