"La politique des droits de douane de Trump a provoqué une grande peur dans l’opinion"
Géopolitique
Si le président américain a réussi à faire adopter son projet de loi budgétaire, les questions économiques pourraient constituer son talon d’Achille dans l’avenir, en particulier la question de la dette et des « tariffs », pas forcément bien compris par les citoyens, souligne le journaliste américain, éditeur à la Claremont Review of Books, contributeur au New York Times.
Le 3 juillet, la Chambre des représentants des États-Unis a adopté le mégaprojet de loi budgétaire qui regroupe la plupart des promesses électorales de Donald Trump. Est-ce une victoire du président ?
Christopher Caldwell Sans doute. Les projets de loi budgétaires sont très compliqués à faire adopter. La reconduction des baisses d’impôt que Donald Trump a imposée en 2017 était une promesse électorale majeure, et plusieurs républicains – des « faucons » budgétaires – y étaient réfractaires.
Qu’est-ce que cela va changer pour les Américains ?
C. C. Je ne pense pas que ce projet de loi va changer grand-chose, à deux égards. La première, c’est que les promesses, notamment les réductions dans le programme Medicaid d’aide aux dépenses de santé des foyers défavorisés n’entreront pas toutes en vigueur avant la fin du mandat de Trump. Donc, il n’est pas certain que le texte ait un impact global. Deuxièmement, l’endettement qui en découle est relativement modeste. Selon le bureau du budget du Congrès, la loi aggravera l’endettement de quelque 3300 milliards de dollars sur dix ans. Elle majore au passage de 5000 milliards de dollars le plafond de la dette publique, afin d’écarter tout risque de défaut. Quand Bill Clinton a quitté la Maison Blanche, en 2001, la dette fédérale était faible, s’élevant à environ 5700 milliards de dollars. En l’espace de vingt ans, elle a augmenté de plus de 25 milliards de dollars, avoisinant les 32 910 milliards de dollars en 2023. Les 3300 milliards de dollars de plus dans le projet de Trump sont donc regrettables, mais par rapport aux deux dernières décennies, ce n’est pas si important. Bien sûr, ces 3300 milliards pourraient être la goutte qui fait déborder la vase. Il arrivera un moment où tout tombera parce que la capacité d’absorber la dette n’est pas infinie. Quand ce moment arrivera, ce sera tout d’un coup avec une perte de confiance des banquiers, du marché des dettes, etc.
La dette n’a pourtant pratiquement pas été abordée au cours de la campagne électorale. Est-ce un impensé de la politique américaine ?
C. C. Nous avons pris l’habitude de nous reposer sur la monnaie de référence. Nous sommes devenus trop confortables avec notre devise, qui est la devise du monde. C’est pour cela. On n’éprouve pas les crises financières de la même manière que les Européens les éprouvent.
Quel bilan faites-vous des premiers mois de la présidence Trump ?
C. C. Donald Trump a toujours représenté un référendum pour savoir si les classes dirigeantes américaines étaient corrompues ou non. Et les électeurs ont dit oui, en 2016 et en 2024. Pour l’électorat, il y avait une urgence de réformes. Trump est ainsi intervenu très fortement contre le wokisme. Malheureusement pour plusieurs de ses électeurs, il l’a fait par le biais des mêmes artifices que les démocrates, surtout en utilisant les lois sur les droits civiques comme levier pour imposer aux universitaires ce qu’ils avaient le droit de dire ou ne pas dire. Je dirais qu’il a agi de façon irrégulière envers la Constitution, mais cette manière de faire ne compte pas pour l’électorat en général. Ce qui sera important et où Trump se trouvera vulnérable, ce sont les questions économiques et la crainte d’un basculement, surtout avec sa politique des droits de douane qui a provoqué une grande peur dans l’opinion. Les Américains ne saisissent pas tous les mécanismes de l’économie mondiale, mais ils comprennent très bien que la Bourse a chuté de 20% dans les jours suivant l’annonce du président sur les « tariffs ». Or, chez nous, la Bourse, ce sont les retraites.
Sur le plan extérieur, comment vous jugez sa politique étrangère ?
C. C. Les États-Unis sont dans un état vulnérable, en ce qui concerne le consensus sur la politique étrangère. On voit mal comment ils pourraient mener une vraie guerre au Moyen-Orient. Trump a réussi à délivrer une frappe, significative semble-t-il, en Iran sans embourber les États-Unis dans une guerre. Le risque d’enlisement, c’est un risque que les électeurs américains ne sont pas prêts à courir.
Sur l’Ukraine, les efforts de Trump semblent vains, lui-même l’a admis après sa dernière conversation avec Vladimir Poutine…
C. C. En réalité, Trump ne s’intéresse pas vraiment à l’Ukraine. Ça ne veut pas dire qu’il est un ami de Poutine. Il est indifférent, c’est tout. Il n’y a aucun intérêt. C’est difficile à avouer à un Européen, mais à part dans certains quartiers, à Washington DC, à Manhattan ou à Cambridge, cette guerre ne fait aucune impression sur les Américains. Personne n’accepte d’en payer le prix.
La seule boussole de Donald Trump, est-ce son électorat ?
C. C. Je pense que c’est quelque chose de plus personnel. Si c’était son électorat, il serait plus facile de prévoir ce qu’il fait.