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La fin du libre-échange : un changement de paradigme ?


Financements

Depuis plusieurs années, et singulierement depuis la crise financière et la grande récession, le monde semble s’éloigner du libre-échange tel qu’il avait été promu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après les rgressions du début du XXème siècle. Le multilatéralisme commercial, incarné par les accords du GATT puis a partir de 1993 par l’Organisation mondiale du commerce (OMC), s’essouffle face à une montée des tensions géopolitiques, à un repli protectionniste et à l’usage stratégique du commerce comme levier de puissance.

Les tarifs douaniers ont fait leur grand retour, notamment, mais pa seulement, sous l’impulsion des États-Unis avec l’administration Trump, qui a imposé des 2017-2018 des droits de douane importants sur certains produits chinois, amorçant une guerre commerciale dont les répliques se font encore sentir. L’administration Biden, loin de revenir à l’orthodoxie libre-échangiste, a maintenu une grande partie de ces mesures dans une logique de « reshoring » et de sécurisation des chaînes de valeur. D’autres pays ont emboîté le pas, augmentant les droits de douane pour protéger des secteurs stratégiques (technologie, agriculture, matières premières critiques etc…).

Mais au-delà des tarifs, ce sont aussi les barrières non tarifaires qui se multiplient : normes sanitaires, exigences environnementales, contrôles technologiques, dispositifs de subventions internes — autant de moyens détournés pour limiter les importations tout en se conformant, au moins en apparence, aux règles de l’OMC. Tous les suivis soulignent une envolee des exceptions et derogations. L’OMC, paralysée par le blocage de son organe de règlement des différends depuis 2019, n’est, d’ailleurs, plus en mesure de garantir l’arbitrage impartial des conflits commerciaux.

Les accords commerciaux bilatéraux ou plurilatéraux, censés en theorie pallier l’échec du multilatéralisme, peinent également à aboutir. L’accord UE-Mercosur stagne depuis des années et la récente visite a Paris du President Lula n’a pas encore permis de débloquer la situation. Le Partenariat transpacifique (CPTPP) avance laborieusement, et de nombreuses négociations sont freinées par des considérations de toutes natures :  environnementales, sociales ou géopolitiques.

Plus fondamentalement, le commerce est de plus en plus utilisé comme une arme dans la compétition pour les ressources critiques et la protection de sa souveraineté. Accès aux métaux rares, contrôle des technologies stratégiques, sécurisation alimentaire : chaque État cherche désormais à préserver ou dominer des chaînes d’approvisionnement vitales, quitte à rompre avec la logique ricardienne des avantages comparatifs. Le commerce n’est plus un vecteur de coopération mais un outil de puissance. L’embargo sur les semi-conducteurs imposé à la Chine, ou les restrictions sur l’exportation de terres rares par Pékin, en sont des illustrations récentes frappantes.

Peut-on parler de changement de paradigme ? Probablement oui. Le monde façonné par Ricardo, fondé sur les avantages compratifs garants d’efficacité, d’ouverture et in fine d’interdépendance constructive, cède la place à un monde plus malthusien, fondé sur la rareté, la rivalité et la volonté de captation dans un monde jugé fini (en ce compris la terre mais aussi les océans et l’espace). Dans ce contexte, la croissance n’est plus garantie par l’échange, mais par la maîtrise de ressources limitées, la résilience économique, et la souveraineté industrielle, technologique et alimentaire.

Ce basculement n’est évidemment pas sans risque. Nous commençons juste a en prendre la mesure. Il nourrit la fragmentation du système international, exacerbe les tensions et affaiblit la coopération globale, y compris dans des domaines cruciaux comme la lutte contre le changement climatique, sujet auquel je suis professionnellement particulièrement attaché. Surtout il semble désormais s’imposer comme la nouvelle donne d’un monde où la sécurité prime sur la libre circulation des biens. Mais aussi des capitaux et des personnes voire des « datas ».