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IA et finance : certitudes et questionnements


Tech & Industrie

L’intelligence artificielle (IA) est en train de bouleverser notre planète. Les bases de l’IA ont été posées lors de la conférence de Dartmouth College, aux États-Unis, en 1956. Les scientifiques étaient alors persuadés que l’avènement de cerveaux électroniques égalant l’homme était imminent. La désillusion fut très grande: vingt ans après, les pionniers de l’IA durent admettre que les ordinateurs de 1975 restaient sommaires et que le cerveau humain était bien plus complexe qu’ils ne le pensaient. Le grand basculement de l’IA s’est produit – après trente ans de sommeil – en 2012 avec le renouveau permis par le «deep learning», pièce essentielle de la phase II de l’IA. Le «deep learning» est un système d’apprentissage et de classification, basé sur des réseaux de neurones artificiels numériques qui permettent à un ordinateur de simuler certaines capacités du cerveau humain. Ces réseaux peuvent assumer des tâches très complexes, comme la reconnaissance d’une image ou la compréhension du langage parlé. 

L’IA de deuxième génération va rapidement concurrencer les radiologues, mais paradoxalement ne peut lutter contre un médecin généraliste. Certes elle l’aide déjà à conforter des diagnostics et diminue ainsi des pertes de chance. Mais pour égaler l’omnipraticien, il faudrait une IA contextuelle capable de mémoire et de transversalité. 

Cette troisième génération d’IA, qui émerge à peine, ne devrait être disponible que vers 2030 et en dit long sur les découvertes qui nous attendent. À ce stade toutefois, les différences entre cette révolution industrielle et les précédentes sont au nombre de trois. D’abord l’IA se développe à un rythme continûment exponentiel et non pas par paliers. Deux chiffres suffisent à nous en convaincre: dans le domaine médical, le coût de lecture de notre ADN a été divisé par trois millions au cours des dix dernières années; en matière éducative, la rapidité d’apprentissage est multipliée par 100 chaque année. Il ne s’agit pas là de prévisions fumeuses mais de la réalité des faits. Ensuite l’IA ne touche pas que la production, elle affecte aussi et surtout les métiers immatériels (banque, assurance, droit, comptabilité, conseil…). Enfin, plus que toute autre innovation qui l’a précédé, l’IA marginalise l’Europe par rapport à ses principaux concurrents qui ont construit des barrières à l’entrée de plus en plus difficiles à franchir.

 Les géants du numérique s’assurent de leur quasi-monopole par la concentration d’une quantité énorme de talents. Cette razzia sur les QI crée une barrière à l’entrée presque infranchissable. Par ailleurs, ce quasi-monopole n’est pas construit par des barrières protectrices traditionnelles mais de plus en plus par le fait que l’IA crée d’énormes bases de données. 

Les conséquences de cette nouvelle révolution industrielle sont majeures. En premier lieu, celle-ci risque d’accroître considérablement les inégalités. À défaut de chiffres spécifiques sur l’IA, une analogie avec le QI nous semble révélatrice. Plus le QI est élevé, plus il a d’effet sur le salaire: un gain de 5 points de QI multiplie le salaire par 1,4; un gain de 10 points se traduit par un triplement du salaire. Enfin, elle pose des problèmes éthiques et démocratiques nouveaux. Pour ne prendre qu’un exemple, le règlement européen sur la protection des données (GDPR), applicable depuis mai 2018, rappelle que les données appartiennent au client et que toute utilisation par un tiers doit faire l’objet de son approbation. 

Dans ce nouveau contexte le plus inquiétant pour notre pays, et de loin, c’est la sous-estimation du phénomène, qui ramène la France au rang de «pays sous-développé», exportant ses «matières premières», les informaticiens spécialisés en IA, tandis qu’elle importe, via nos smartphones, des biens à haute valeur ajoutée presque exclusivement produits aux États-Unis. Dit autrement par Emma Marcegaglia, chef du patronat italien: «Quand une technologie apparaît, les Américains en font un business, les Chinois la copient et les Européens la régulent». 

L’un des grands questionnements concerne l’exploitation des données. De nos jours, les outils informatiques et l’intelligence artificielle permettent une personnalisation croissante des offres. Cela pourrait sembler contraire au principe de mutualisation. Toutefois, alors que la réglementation engendre une certaine harmonisation des garanties, la personnalisation des offres permet de se différencier et de mieux accompagner les assurés. En cumulant l’écoute humaine et les performances de l’IA, nous pouvons mieux comprendre les besoins des assurés et leur proposer des services de prévention et d’accompagnement plus ciblés, renforçant le rôle social et solidaire des mutuelles. Et la mise en place d’une modularité d’offres garantit en outre un niveau de protection essentiel, évitant que les plus fragiles ne renoncent à se protéger. La solidarité et l’éthique se rejoignent donc. 

Toutefois, une telle exploitation des données nécessite des arbitrages réguliers pour éviter toute dérive. Et encore une fois, cela passera par l’éthique, et donc par le mutualisme et la coopération. Nous pouvons, à titre d’exemple, citer une initiative intéressante dans le domaine de la santé. Ethik IA, créée par David Gruson et Judith Mehl, et soutenue, notamment, par la Mutualité Française, a mis au point un concept de «garantie humaine» pour sécuriser le déploiement éthique de l’IA. Il repose notamment sur l’établissement de supervision humaine à chaque point critique préalablement identifié dans le processus de l’intelligence artificielle. L’éthique, et donc le mutualisme, ont un rôle important à jouer dans la régulation des innovations. 

Face au défi de l’IA, le mutualisme et la coopération ont véritablement une carte à jouer. Les principes de l’IA sont, en effet, dans les gènes même de ces deux mouvements: la priorité à la décentralisation qui a fondé les mouvements mutualistes et coopératifs au XIXe siècle; la supériorité d’une approche «bottom up», la base et non le sommet devant être l’initiatrice de toute réforme; et la recherche, parfois difficile, des principes de solidarité en est la preuve évidente. Concernant la solidarité, il convient de rappeler le caractère essentiel de la relation humaine dans la plupart des opérations commerciales. On peut considérer que le mutualisme et la coopération disposent d’un avantage compétitif évident dans ce domaine de par la meilleure compréhension de leur clientèle que leur confère la proximité. Cette remarque peut se rapprocher d’un débat très actuel sur la structuration des sociétés travaillant dans le domaine des algorithmes d’intelligence artificielle générative. La plus emblématique d’entre elles, OpenAI qui a créé le fameux ChatGPT, a adopté une structure juridique originale: OpenAI, Inc., une association à but non lucratif et OpenAI Global, LLC, une filiale à but lucratif plafonné. Cette structure est censée permettre à OpenAI de «poursuivre sa mission de développement et de promotion d’une intelligence artificielle bénéfique pour l’humanité, tout en attirant des investissements nécessaires pour financer ses recherches». Ce double statut a, évidemment, rapidement prêté le flanc à des critiques et généré une bataille judiciaire sur la réalité du caractère non lucratif d’OpenAI. Mais si l’on revient à l’idée initiale consistant à dire que les éditeurs de LLC devaient avoir à cœur de garder un impact positif à long terme, de s’assurer que les recherches et les développements en intelligence artificielle bénéficieraient à l’humanité dans son ensemble, le tout sans être dicté par des impératifs financiers à court terme, alors cette structuration paraît en fait être un ersatz de mutualisme qui cherche à permettre de garantir de manière constitutive l’éthique et la sécurité de l’utilisation des données et des algorithmes créés.

Les entreprises françaises doivent toutefois respecter un certain nombre de conditions qui ne sont aujourd’hui qu’imparfaitement remplies. En premier lieu, en ne cautionnant pas la mise en œuvre de fausses bonnes solutions que certains appellent de leurs vœux, comme l’idée d’un moratoire même temporaire sur l’IA, le blocage du progrès technique se révélant à terme contre-productif comme l’a montré l’histoire des XIXe et XXe siècles. Sans remonter aux luddites anglaises et à la révolte des canuts en France, pour ne prendre qu’un exemple récent, en 2016, le principal résultat de la tentative de moratoire sur les modifications génétiques embryonnaires a été l’accélération de la publication des travaux chinois sur ce thème. Ne boudons pourtant pas notre plaisir: l’IA peut-être une chance pour notre pays. Reste toutefois, pour atteindre cet objectif, à passer des intentions aux actes. Et le plus vite possible. Et, pour ce faire, un certain nombre de questions se posent auxquelles il va falloir répondre :

– Quel est l’ampleur du phénomène ? 

– Quel apport de de l’intelligence artificielle à la finance ?

– Quel risque présente l’intelligence artificielle pour la finance ?

– Existe-t-il une différence entre la banque et l’assurance ?

– L’intelligence artificielle accroît-elle ou non le risque systémique ?

– L’Europe est-elle définitivement dépassée par les États-Unis et la Chine ? 

– Quels sont les barrières à l’entrée dans cette industrie ?

– Que faire en matière de régulation au-delà de l’Artificial Intelligence Act ?

–  Que faire en matière de politique industrielle au niveau européen et au niveau français ?

– Que faire en matière de politique de formation ?

– Que faire en matière de financement ?

Bonne réflexion et surtout bonne action…