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Faut-il réviser les missions des banques centrales ?


Financements

On résume trop souvent les missions des banques centrales au maintien de la stabilité des prix d’une part et du système bancaire d’autre part. Mais en réalité, selon les mandats qui leur sont assignés et/ou la façon dont elles les interprètent, le champ de ces missions est généralement bien plus vaste. On sait que la Fed est investie d’un « double mandat » (stabilité des prix et niveau d’emploi maximum) ; d’autres banques centrales (dans des pays en développement) ont pour mission de stabiliser la parité de leur monnaie à celle d’une devise étrangère… La BCE de son côté est censée, sans préjudice de l’objectif de prix, apporter un soutien aux politiques générales « en vue de contribuer aux objectifs de la Communauté ». Ce qui constitue un ensemble de missions potentiellement très (trop ?) large. 

Par ailleurs, pour répondre aux crises qui se sont succédé, au cours des vingt dernières années, les autorités monétaires ont su modifier l’ordre de priorité de leurs missions, et parfois en étendre le champ. Durant les crises financière, puis sanitaire elles ont accompagné les politiques budgétaires pour soutenir l’activité, mais aussi pour limiter le coût de l’endettement public en achetant massivement des titres de dettes publiques (des politiques dites non conventionnelles). Elles ont alors pris le risque d’accepter une « dominance budgétaire ». Ce qui a pu leur être reproché.  

Quelles limites à la révision des missions ?

Mais ces observations ne signifient pas que les banques centrales ont toute liberté pour interpréter ou même compléter les termes de leurs mandats. Car l’aménagement de leurs missions se heurte au moins à deux contraintes majeures :

  • D’une part, on sait qu’il est sous-optimal de poursuivre plus d’objectifs que l’on a d’instruments (règle de Tinbergen). Or, même si les banques centrales peuvent (à la marge et si cela est pertinent) augmenter la gamme de leurs instruments, leur nombre est fatalement limité.
  • D’autre part, lorsque la politique monétaire pénètre sur un domaine qui relève aussi de la compétence d’autres volets des politiques économiques (par exemple, la politique budgétaire, industrielle, sociale…) la coordination que cela suppose peut mettre en danger leur indépendance. D’autant que cette indépendance met en cause leur légitimité à prendre des décisions qui supposent des choix de nature politique : qui affectent par exemple la distribution des revenus ou des richesses. Peut-on dès lors laisser les banques centrales mener une politique de sélectivité du crédit ?

Ce qui pourrait justifier des révisions

Comme bien d’autres institutions les banques centrales ont été interpellées par la montée des désordres environnementaux et en particulier par leur probable influence sur la stabilité des systèmes financiers. De sorte qu’en 2017 s’est constitué un réseau comprenant des banques centrales et des régulateurs (le « Network for Greening the Financial System), qui compte aujourd’hui 145 membres, afin d’étudier et de suggérer des solutions à cette question qui devrait devenir cruciale dans les années à venir. Il en ressort des propositions visant à renforcer prudentiels (les fonds propres notamment) des institutions financières qui détiennent ou financent des actifs contribuant aux déséquilibres écologiques (les « actifs bruns »). Ce qui est théoriquement bien justifié, même si la mise en pratique de cette idée est bien compliquée.

Par ailleurs, certaines banques centrales se sont engagées dans des refinancements privilégiés pour les « actifs verts » (c’est-à-dire compatibles avec la transition écologique) et plus généralement dans le « verdissement » de leur bilan. Il s’agit alors d’une sorte de retour à une politique de crédit sélective du type de celles qui avaient été pratiquées dans l’après-guerre, avant d’être balayée par la vague de libéralisation financière des années 1970/80. On a alors considéré les banques centrales ne devaient pas contrarier le rôle des marchés dans l’allocation des capitaux et donc ne pas intervenir dans la formation des structures par terme et par risques des taux d’intérêt. On se situe donc ici aux limites, évoquées précédemment, des révisions envisageables.

De façon plus générale, il est vraisemblable que, dans les années qui viennent, ce sont à des problèmes de régulation de l’offre plutôt que de la demande que les politiques économiques vont se trouver confrontées. Parce que ce sont des chocs dans les conditions de production que vont entrainer les évolutions technologiques, les ruptures et recompositions des échanges commerciaux et des chaines de valeur, les éventuelles pénuries de matières premières… Or, on sait que les politiques monétaires conventionnelles n’ont pas vocation à traiter les chocs d’offre : la manipulation des taux d’intérêt n’a pas le pouvoir d’y répondre. C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs banques ont souhaité flexibiliser leur objectif d’inflation en allongeant l’horizon de son calcul, en l’inscrivant dans une marge de fluctuation… Au demeurant ces chocs d’offre génèrent des déséquilibres de caractère micro ou méso économiques qui relèvent plutôt d’une politique du crédit apte à rétablir la compétitivité de la structure productive. Mais comment faire alors pour ne pas franchir les limites au-delà desquelles l’indépendance des banques centrales ne se justifie plus ?

D’un tout autre point de vue, ajoutons que nombre d’observateurs considèrent aujourd’hui que le dollar devrait perdre progressivement sa prédominance en tant que monnaie d’échange, de facturation et de réserve. La monnaie américaine tenait une place essentielle dans le système monétaire international qui avait été recomposé dans l’immédiat après-guerre. Mais cette place a été remis en cause par la fracturation, qui s’accélère, de cet ordre économique mondial, par la baisse du poids relatif de l’économie américaine et sans doute aussi par le fait que les États-Unis se sont affranchis des responsabilités qu’impliquaient le « privilège exorbitant » dont bénéficie leur devise. Dans le monde multipolaire qui semble se mettre en place il serait juste et cohérent que d’autres monnaies, notamment l’euro et le yuan chinois, se substituent en partie à la monnaie américaine. C’est du reste une revendication ancienne de nombre de pays émergents (les BRICS). Mais alors quelles seront les actions que les banques centrales devront engager pour s’adapter à ce nouveau contexte ? Quelles seront les obligations de cette nouvelle mission pour celles dont la monnaie se substituera en partie au dollar ? Et quels infléchissements de leurs politiques les autres devront elles s’imposer ?