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Élargir le mandat des banques centrales sans compromettre la stabilité des prix


Financements

Le philosophe grec Héraclite a dit un jour : « Tout change, rien ne reste.» Pour les banques centrales, la situation a beaucoup changé. Avant l’éclatement de la « Grande Inflation » des années 1970, rares étaient ceux qui prêtaient attention aux propos des banquiers centraux. Aujourd’hui, les décisions de politique monétaire peuvent façonner et ébranler les marchés financiers.


La situation a également évolué dans le secteur des banques centrales sur d’autres plans importants.


Au lendemain de la Grande Inflation, la plupart des banques centrales ont fait de la stabilité des prix l’objectif principal de leur politique

monétaire, et le nombre de banques centrales politiquement indépendantes a fortement augmenté. La Banque centrale européenne (BCE) est une banque centrale à la fois indépendante et soumise à des mesures législatives visant à assurer la stabilité des prix.


Au lendemain de la crise financière mondiale, le mandat de nombreuses banques centrales a été élargi à des objectifs de stabilité financière, et certaines se sont vu confier la responsabilité exclusive ou conjointe des missions macroprudentielles. Dans la zone euro, la supervision directe des banques importantes a été confiée à la BCE, en étroite collaboration avec les autorités nationales (Mécanisme de surveillance unique).
Je me concentrerai aujourd’hui sur l’Eurosystème. Notre objectif principal, la stabilité des prix, est prescrit par le Traité sur le fonctionnement de l’UE. Cette priorité accordée à la stabilité des prix résulte de la prise de conscience des dommages que peuvent causer les écarts par rapport à cette stabilité.


La manière dont nous atteignons cet objectif est définie par notre stratégie de politique monétaire. Notre objectif spécifique est symétrique : nous visons une inflation de 2 % à moyen terme. Cette formulation a été introduite en 2021. En explicitant l’objectif chiffré, nous avons fourni un point de référence stable et facilement compréhensible pour le public. Cela a amélioré la fixation des salaires et des prix, renforçant ainsi l’ancrage des anticipations d’inflation.


Depuis sa création en 1999 jusqu’au début des années 2020, la BCE a atteint un taux d’inflation annuel moyen légèrement inférieur à 2 %, ce qui lui a valu une crédibilité considérable. En conséquence, les anticipations d’inflation à long terme sont restées fermement ancrées tout au long de la récente poussée d’inflation, ce qui nous a permis de resserrer progressivement la politique monétaire et de ramener l’inflation à 2 %, tout en réalisant un atterrissage en douceur.


Pourquoi 2 % et pourquoi pas 0 % d’inflation ? Parce qu’un tampon supérieur à zéro offre à la politique monétaire une marge de manœuvre pour baisser les taux d’intérêt en cas d’évolution défavorable et une marge de sécurité contre le risque de déflation. Les rigidités nominales à la baisse et les biais de mesure justifient également un tampon contre l’inflation.


Plusieurs universitaires et décideurs politiques ont appelé à relever l’objectif au-dessus de 2 %. Ces propositions doivent être soigneusement évaluées au regard des risques potentiels pour la crédibilité des banques centrales. Des ajustements fréquents de l’objectif pourraient inciter les acteurs du marché à anticiper de nouveaux changements à l’avenir, ce qui éroderait la confiance et créerait des risques de désancrage des anticipations d’inflation.


L’orientation à moyen terme reconnaît que la politique monétaire se transmet par des décalages longs et variables, et offre la flexibilité nécessaire pour réagir progressivement aux pressions sur les prix sans recourir à des mesures drastiques susceptibles de compromettre l’activité économique et l’emploi. Parallèlement, notre stratégie garantit la bonne transmission de la politique monétaire à tous les secteurs et à tous les pays.
Les banques centrales n’opèrent pas en vase clos. Dans la zone euro, nous devons évoluer dans un environnement complexe marqué par la fragmentation des marchés de capitaux, les tensions géopolitiques, l’urgence des risques climatiques et la nécessité impérieuse de combler l’écart de productivité par rapport aux autres grandes zones économiques.


La responsabilité première de relever ces défis incombe bien entendu aux gouvernements et aux législateurs européens. Le rôle de la politique monétaire est de fournir un ancrage de stabilité, garantissant une condition fondamentale à une croissance durable, favorisant ainsi la confiance et stimulant l’investissement et la création d’emplois.


Au cours de l’année écoulée, les derniers niveaux de restriction de la politique monétaire ont été progressivement levés. Cet assouplissement des conditions de financement sera essentiel pour soutenir l’investissement en rendant les capitaux plus accessibles et abordables, dans un contexte de très forte incertitude.


Notre stratégie renouvelée réaffirme l’importance continue du climat dans notre programme politique. Mais nous insistons également sur la nécessité de progresser dans d’autres domaines. Concernant l’intégration européenne, en finalisant l’Union bancaire et en faisant progresser l’Union des marchés de capitaux, une Union de l’épargne et de l’investissement à part entière est essentielle pour améliorer la manière dont notre système financier canalise l’épargne vers des investissements productifs.


Une union plus complète permettra également à l’euro d’assumer un rôle élargi en tant que monnaie internationale, partageant les avantages associés à ce rôle et conférant à l’Europe davantage de responsabilités sur la scène mondiale, fracturée par l’incertitude.


Une stabilisation macroéconomique efficace exige la complémentarité des politiques budgétaire et monétaire. Un enseignement essentiel de la crise de la dette de la zone euro est que lorsque les politiques budgétaire et monétaire sont alignées, mais avec une distinction claire des rôles, responsabilités et mandats respectifs, elles peuvent se renforcer mutuellement. Une capacité budgétaire centrale permanente – un cadre commun de gestion des finances publiques – constituerait un tournant, permettant des investissements coordonnés et une responsabilité partagée pour les initiatives favorisant la croissance. La Facilité pour la reprise et la résilience pourrait servir de modèle pour l’avenir – y compris la création d’un actif sûr européen commun, afin de renforcer l’intégration et la résilience financières.


En période de turbulences et d’instabilité, les banques centrales doivent constamment réévaluer leurs stratégies de politique monétaire afin de remplir leur mandat, tout en veillant à ce qu’elles restent crédibles. J’ai évoqué ici certaines des questions soulevées dans le cadre de cette discussion, qui offrent des enseignements importants et, en même temps, tracent la voie à suivre – vers une architecture plus efficace de la zone euro.

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