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Au-delà des frontières, sous les gros titres : la véritable psychologie de la migration


Social & Démographie

Au-delà des frontières, sous les gros titres : la véritable psychologie de la migration
Peu de gens réalisent que si tous les migrants internationaux formaient une seule nation, celle-ci se classerait au cinquième rang des pays les plus peuplés du monde, dépassant le Brésil, le Pakistan et le Nigéria, avec environ 281 millions de personnes considérées comme des migrants internationaux en 2020 (Organisation internationale pour les migrations [OIM], 2022 ; Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies [DAES], 2020)


Ce système politique imaginaire, forgé par le mouvement plutôt que par les frontières, incarne à la fois l’espoir et la peur qui nourrissent l’un des enjeux les plus polarisants de notre époque : l’immigration.


En tant que psychologue originaire de la région Asie-Pacifique, une région qui compte à la fois de vastes diasporas et des vulnérabilités poreuses, j’aborde cette problématique mondiale non pas à l’aune de prescriptions politiques, mais au rythme de l’expérience humaine. La migration n’est pas seulement une question de chiffres ou d’économie : elle concerne le monde intérieur des personnes qui partent, les communautés qui les accueillent et le silence assourdissant qui règne dans des lieux d’où personne ne peut partir, comme Gaza.

Perception et réalité : l’histoire de deux mondes


Les démocraties prospères ne sont pas confrontées à une crise migratoire, mais à une crise de perception. Le décalage entre les flux réels et les invasions imaginées alimente un discours de division. Alors que l’opinion publique de pays comme la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni estime que 25 à 30 % de leur population est immigrée, la population réellement née à l’étranger est nettement inférieure : environ 10 % en France (INSEE, 2023), 19,5 % en Allemagne (Destatis, 2023) et environ 14 % au Royaume-Uni (Pew Research Center, 2019 ; Ipsos MORI, 2015). Au Japon, la population née à l’étranger reste légèrement supérieure à 3 %, malgré un malaise public persistant face à l’immigration (Ministère de la Justice du Japon, 2024).


Cette dissonance n’est pas fortuite, elle est émotionnelle. Il ne s’agit pas d’« eux », mais de « nous ». L’insécurité identitaire, l’anxiété liée à la précarité économique et la perte de clarté communautaire se manifestent par la recherche de boucs émissaires. L’inconscient, comme dirait Jung, projette son ombre sur le migrant.

La psychologie du départ et de l’accueil


Partir, c’est rompre la psyché. Le migrant fait le deuil avant d’arriver : la langue perdue, les coutumes abandonnées, et un avenir imaginé mais différé. Qu’il s’agisse de fuir la guerre ou de chercher un salaire, l’acte est psychologiquement monumental.


Mais recevoir est tout aussi lourd de conséquences. Accueillir de nouveaux arrivants oblige les communautés à confronter leurs instincts les plus profonds d’équité et d’appartenance – des sentiments qui se confondent facilement avec la peur de l’érosion culturelle ou de la perte de sécurité. Notre cerveau n’est pas programmé pour la suspicion ou l’exclusion ; il est construit pour l’empathie, façonné par les histoires que nous entendons et les conditions dans lesquelles nous vivons.


On le voit clairement dans la générosité discrète des Malais des zones rurales partageant des repas avec des réfugiés rohingyas, ou dans la solidarité gracieuse des insulaires du Pacifique qui ont ouvert leurs portes aux personnes déplacées par la montée des eaux. Ces moments nous rappellent que la peur n’est pas une fatalité, mais un choix, tout comme la compassion. La paix exige une culture active. Les politiques publiques doivent refléter la psychologie publique, et non l’exacerber.

Ce que les pays du Sud savent historiquement


Dans les pays du Sud, et particulièrement en Asie-Pacifique, la migration n’a jamais été une crise ; c’était un rythme de vie. Qu’il s’agisse des ouvriers du textile bangladais en Malaisie ou des infirmières philippines au Japon, les flux migratoires ont longtemps soutenu non seulement la survie des ménages, mais aussi les économies nationales et l’influence régionale. Ici, les déplacements sont moins une question de spectacle que de subsistance.


Pourtant, cette sagesse est absente des débats des pays du Nord. La migration est trop souvent considérée comme une perturbation à contrôler plutôt que comme une constante à comprendre. Pire encore, certaines nations exploitent ces flux tout en refusant leur réciprocité : elles acceptent les transferts de fonds, privent les populations de leurs droits.


C’est là que réside le paradoxe : ces mêmes nations vieillissent et leur taux de natalité diminue. La migration n’est pas leur problème, c’est leur solution.

Le cas de Gaza : la crise migratoire inversée


Gaza offre un contre-exemple effrayant : un lieu d’où nul ne peut partir. La migration est la soupape de sécurité ultime, un instinct humain qui permet la libération, la survie et la continuité. La nier, enfermer les gens, est une forme d’étouffement psychologique, qui engendre désespoir et militantisme. Si le problème de l’Europe est de savoir comment accueillir, celui de Gaza est l’insupportable réalité que nul ne puisse sortir. Cela doit faire partie de notre débat sur la migration.

Au-delà de nous et d’eux : une voie à suivre

Une grande partie du débat actuel recycle une opposition désuète, le « nous contre eux », tout droit sortie du manuel trumpien. Mais ce n’est pas un jeu. C’est une question de vie ou de mort. Nous devons partir de la simplicité : nous sommes tous issus de la migration. Les frontières sont des inventions récentes. L’art de lutter pour la justice migratoire ne consiste pas à crier plus fort, mais à écouter plus attentivement. Non pas à gagner le débat, mais à réhumaniser le cadre.


Construire une société juste, c’est faire la paix avec le mouvement. Il s’agit de reconnaître que la démographie est une fatalité, mais que la psychologie est le chemin. Et il s’agit d’admettre que la migration n’est pas une menace pour la démocratie, mais une épreuve pour elle.

Références (APA):

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