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Financer le développement dans le Sud global : une perspective africaine


Financements


1. État du financement du développement dans le Sud global

Le Sud global, particulièrement l’Afrique, fait face à un déficit aigu de financement pour ses besoins de développement. Le continent nécessite environ 1,3 trillion de dollars par an pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODD) d’ici 2030, mais les flux financiers actuels sont loin d’être suffisants. Le seul déficit infrastructurel africain exige entre 130 et 170 milliards de dollars par an, tandis que l’adaptation et l’atténuation du changement climatique nécessitent environ 50 milliards supplémentaires par an. Malgré ces besoins, les difficultés de financement s’accroissent, avec des sources telles que l’aide étrangère et les financements concessionnels qui ne suivent pas l’augmentation des besoins, tandis que l’investissement privé reste insuffisant.

Une tendance inquiétante est le retrait des partenaires traditionnels de développement, notamment les États-Unis. Les récentes réductions budgétaires ont considérablement diminué l’aide étrangère américaine, y compris les programmes de l’USAID et du Fonds africain de développement (ADF-17). Ces coupes interviennent alors que les pays africains font face à la reprise post-pandémique, aux chocs climatiques et à la crise de la dette. Ce retrait américain aggrave une situation déjà précaire, obligeant les pays en développement à chercher des financements alternatifs, souvent à des coûts plus élevés.

Par ailleurs, l’Aide publique au développement (APD) des pays de l’OCDE stagne, ne respectant pas l’objectif de longue date de 0,7 % du revenu national brut (RNB). Les dépenses militaires, notamment le financement de la guerre en Ukraine et l’augmentation des budgets de défense en Allemagne et au Royaume-Uni, ont réduit les budgets alloués à l’APD, qui aurait pu soutenir les initiatives de développement dans le Sud global. Les engagements financiers, comme la promesse de 100 milliards de dollars par an pour le financement climatique des pays développés, restent non tenus. Ces tendances laissent les pays en développement en difficulté pour financer des programmes essentiels tels que l’infrastructure, la santé, l’éducation et la résilience climatique.


2. Principaux obstacles à la mobilisation du financement du développement dans le Sud

Plusieurs facteurs expliquent les défis de financement dans le Sud global. En Afrique, la montée de la dette, la fuite des capitaux, la faible mobilisation des recettes intérieures et le coût élevé de l’emprunt sont parmi les principaux facteurs. Ces facteurs, détaillés ci-dessous, nécessitent des réformes politiques et institutionnelles urgentes au niveau national et international.

1) Faible mobilisation des ressources intérieures
De nombreux pays en développement peinent à générer suffisamment de recettes domestiques, en raison d’assiettes fiscales étroites, reposant lourdement sur un petit secteur privé fortement imposé. Ce problème est aggravé par une administration fiscale faible, facilitant l’évasion et l’évitement fiscal. Par ailleurs, les flux financiers illicites (FFI), estimés à 88,6 milliards de dollars par an rien qu’en Afrique, limitent encore davantage la mobilisation des recettes et provoquent une perte de devises précieuses.

Les marchés financiers domestiques peu développés limitent également la mobilisation des ressources pour le financement du développement. Ces marchés restent embryonnaires, dominés par l’État, et ne servent pas efficacement les besoins du secteur privé ni n’attirent de financements à long terme. Par exemple, en Afrique subsaharienne, le crédit domestique au secteur privé représente seulement 33 % du PIB, contre 192 % aux États-Unis, 82 % en Europe et 177 % en Asie de l’Est, illustrant une intermédiation financière très sous-développée. Ce manque de profondeur entraîne des lacunes criantes, notamment pour le financement des infrastructures. Le financement privé pour l’infrastructure et le social reste donc sous-utilisé dans les économies émergentes.

2) Reflux des flux de capitaux
Un défi majeur est la sortie nette de capitaux. Ces dernières années, le service de la dette et le rapatriement des bénéfices des multinationales ont dépassé les nouveaux flux d’investissements directs étrangers (IDE) et de prêts concessionnels. Selon la CNUCED, en 2023, l’Afrique a connu un transfert net négatif de ressources jusqu’à 25 milliards de dollars, signifiant que plus d’argent est sorti du continent via intérêts et dividendes qu’il n’en est entré par de nouveaux investissements. Cette tendance est due à la hausse des coûts du service de la dette, notamment des euro-obligations à taux élevés, au déclin des IDE lié à l’incertitude économique mondiale, au rapatriement des profits par les firmes étrangères qui réduit les réserves de devises.

3) Faiblesse de l’Aide publique au développement (APD)
L’APD reste essentielle pour les pays à faible revenu, mais elle rencontre des défis systémiques. En 2024, seuls quatre pays de l’OCDE — Danemark (0,71 %), Luxembourg (1,00 %), Norvège (1,02 %) et Suède (0,79 %) — ont atteint l’objectif des 0,7 % du RNB, tandis que l’APD totale a chuté de 7,1 % à 212,1 milliards de dollars sous la pression économique mondiale. Le recul de l’APD est en partie dû à l’augmentation des dépenses militaires, notamment face à la guerre en Ukraine et aux priorités défensives des États-Unis, ce qui a poussé à la hausse des budgets de défense au Royaume-Uni et en Allemagne. Par ailleurs, la fragmentation de l’aide s’est accentuée, avec plus d’aide liée et ciblée, réduisant son efficacité.

L’incapacité à augmenter l’APD, combinée à des engagements non tenus (comme la promesse annuelle de 100 milliards de dollars pour le climat), contraint les pays en développement à recourir à des emprunts commerciaux coûteux, aggravant la crise de la dette. En conséquence, la plupart des pays africains dépensent plus pour le service de la dette que pour des secteurs clés comme la santé, l’éducation, la protection sociale et les infrastructures.

4) Coût élevé du capital pour les pays africains
Les États africains paient un coût d’emprunt nettement plus élevé que leurs pairs ayant une histoire de crédit similaire. Les primes de risque perçues, souvent amplifiées par les agences de notation, représentent un « premium Afrique » d’environ 2,9 points de pourcentage au-dessus des taux justes. La faiblesse des finances publiques, liée à des revenus fiscaux et d’exportation faibles, alourdit cette prime. En outre, la volatilité des devises accentue ces pressions, la dépréciation des taux de change contribuant à une hausse de 2,2 points de pourcentage du ratio dette publique/PIB en Afrique en 2024.


3. Un paysage de financement en mutation

Les partenaires traditionnels comme la Banque mondiale et le FMI restent centraux dans le financement du développement mondial, mais sont de plus en plus critiqués pour leur efficacité. Ils sont accusés d’imposer des conditions d’austérité rigoureuses qui freinent la croissance économique et dégradent les conditions sociales, en particulier pour les populations vulnérables dépendantes des services publics. De plus, la représentation des pays en développement dans la gouvernance de ces institutions est insuffisante, avec un pouvoir de vote concentré sur les États-Unis, l’Europe et le Japon, limitant ainsi la voix des pays pauvres dans la prise de décision.

Face à ces critiques, les pays en développement, notamment en Afrique, cherchent des alternatives, et la Chine s’est imposée comme un acteur majeur. L’initiative Belt and Road (BRI) chinoise est devenue une source importante de financement, surtout pour les infrastructures, offrant des prêts sans conditions politiques strictes. En 2024, la BRI a atteint un niveau record avec plus de 70 milliards de dollars en contrats de construction et 51 milliards en investissements dans 149 pays, totalisant plus de 1,17 trillion depuis 2013. Ce financement a comblé des lacunes dans de nombreux pays à revenu faible et intermédiaire, notamment dans l’hydroélectricité en Afrique.

Cependant, cette alternative comporte des risques importants. Les prêts BRI sont souvent non concessionnels et garantis par des recettes de matières premières ou des dépôts en comptes chinois, limitant l’autonomie fiscale des pays emprunteurs et compliquant la gestion de la dette. Le manque de transparence dans les conditions de prêt et les accords de projet soulève des questions de gouvernance et de responsabilité. De plus, cette dépendance financière peut créer des vulnérabilités géopolitiques, la crise de la dette pouvant mener à des saisies d’actifs ou à un levier politique chinois. Ainsi, si la Chine comble le déficit laissé par les bailleurs traditionnels, elle apporte aussi de nouveaux défis liés à la durabilité de la dette, la transparence et la souveraineté des pays bénéficiaires.


4. Combler les lacunes du financement du développement dans le Sud

Les défis évoqués, combinés à l’évolution du paysage financier, exigent des actions urgentes et collectives :

Pour les gouvernements nationaux du Sud global :

  • Renforcer la mobilisation des ressources intérieures par une fiscalité progressive, l’investissement dans l’administration fiscale (dont les systèmes de paiement numériques) et des mesures anti-corruption.
  • Développer les marchés financiers locaux pour réduire la dépendance à la dette en devises étrangères, notamment en intégrant davantage d’institutions financières non bancaires comme les fonds de pension. Éviter que l’État n’étouffe le secteur privé par un endettement excessif sur les marchés domestiques.
  • Tirer stratégiquement parti des nouvelles formes de financement comme la BRI chinoise, en alignant ces initiatives avec les priorités nationales. Pour limiter les risques futurs, privilégier les infrastructures de petite à moyenne taille à fort impact plutôt que les mégaprojets endettants.

Pour les partenaires officiels de développement :

  • Tenir les engagements d’APD et de financement climatique, notamment la promesse des 100 milliards de dollars.
  • Étendre les initiatives de réduction de la dette et réformer les mécanismes actuels (comme le cadre commun sur la dette) pour assurer une aide opportune et adéquate à tous les pays dans le besoin.
  • Soutenir les appels à la réforme des agences de notation pour réduire les primes de risque injustifiées et aider les pays en développement à renforcer leurs capacités de négociation face aux notations.

Pour les institutions financières internationales (IFI) :

  • Accroître les prêts concessionnels via l’IDA de la Banque mondiale et le RST du FMI. Augmenter les contributions à l’ADF-17 pour qu’il réponde aux besoins de développement.
  • Améliorer le réacheminement des Droits de Tirage Spéciaux (DTS) vers les banques multilatérales de développement (BMD) pour renforcer le financement du développement.

Pour les instances mondiales (G20, ONU) :

  • Promouvoir des règles fiscales internationales plus justes pour limiter les flux financiers illicites.
  • Établir un mécanisme multilatéral de restructuration de la dette pour gérer les insolvabilités souveraines.
  • Encourager la transparence dans les prêts, notamment via un registre mondial de la dette.

5. Conclusion

Le financement du développement dans le Sud global nécessite une approche multiple qui traite les défis des pays en développement, notamment la fuite des capitaux, la faible mobilisation des recettes intérieures, la faiblesse de l’APD et le coût élevé du capital. Une action urgente est indispensable pour que les ODD ne restent pas hors de portée de millions de personnes. Pour cela, la communauté internationale doit prioriser un financement équitable et durable afin que aucun pays ne soit laissé pour compte.

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