Faut-il réviser le mandat des banques centrales ?
Financements
Il y a deux ans, lors des Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, j’ai commencé en affirmant que « les crises sont multidimensionnelles » et que « considérer la politique monétaire comme le Saint Graal des politiques économiques est aussi illusoire que le Saint Graal lui-même ». Je n’avais pas besoin de recul pour confirmer cela — c’est, après tout, l’essentiel du cours d’économie de base — mais je n’aurais pas pu anticiper la complexité à laquelle le monde serait confronté, complexité qui affecte profondément la politique monétaire. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde fragmenté, marqué par des guerres, des menaces commerciales, une transition climatique urgente et l’essor de l’intelligence artificielle. Ces défis multiples créent des déséquilibres macroéconomiques, exerçant des pressions sur l’activité économique et les prix.
La politique monétaire reste sous surveillance et se voit souvent pressée de répondre à des objectifs dépassant son mandat. Pourtant, en tant qu’outil macroéconomique, elle est inefficace pour résoudre des frictions microéconomiques. Cette inefficacité constitue l’un des arguments les plus forts en faveur de l’indépendance des banques centrales. Les systèmes économiques disposent d’outils plus efficaces pour atteindre des objectifs microéconomiques.
Cependant, l’efficacité seule ne suffit pas à préserver l’indépendance juridique que les banques centrales ont acquise au fil des décennies. Cette indépendance doit être maintenue en remplissant les missions premières des banques centrales. L’histoire économique montre que l’indépendance est nécessaire pour mener une politique monétaire efficace, mais elle n’est pas suffisante. Les actions des banques centrales doivent être alignées avec leurs objectifs fondamentaux pour construire leur crédibilité et préserver leur autonomie. L’indépendance n’est pas synonyme d’isolement.
Dans un monde de plus en plus volatile et interconnecté, les banques centrales doivent remplir leur mandat tout en adoptant une perspective d’équilibre général. Les prix, les salaires et les anticipations sont endogènes à l’économie. Que le mandat d’une banque centrale soit unique — stabilité des prix — ou dual — stabilité des prix et plein emploi — la différence opérationnelle est, en pratique, minime. Au final, les banques centrales visent à influencer l’économie par le prix de l’argent, directement ou indirectement.
La théorie économique montre que les chocs d’offre échappent au champ d’action de la politique monétaire. Pourtant, leur impact sur les prix est souvent loin d’être négligeable. Ces dernières années en ont donné de nombreux exemples : les perturbations des chaînes d’approvisionnement dues à la pandémie, les chocs énergétiques provoqués par la guerre injustifiée de la Russie contre l’Ukraine, ou encore les perturbations commerciales liées au protectionnisme.
Comme la politique monétaire agit par la demande globale, elle requiert une approche plus agile, plus flexible et plus précise. Cibler l’inflation en tolérant de petites déviations symétriques pourrait offrir aux banques centrales une plus grande marge pour absorber les fluctuations temporaires des prix causées par des chocs d’offre exogènes. Mais cette flexibilité comporte un risque : celui de désancrer les anticipations d’inflation, à la hausse comme à la baisse.
La politique monétaire ne peut pas agir seule. Les autorités budgétaires, les régulateurs et les acteurs du secteur privé doivent s’aligner, coopérer et partager les risques. Dans un monde non coordonné, surcharger les banques centrales de cette responsabilité conduit à une politique monétaire plus agressive, avec des conséquences négatives notables sur l’activité économique et une réduction de la marge d’action monétaire.
Les politiques adoptées par la BCE ont permis d’ancrer les anticipations d’inflation et de ramener l’inflation vers l’objectif de 2 %. Cette crédibilité est essentielle pour consolider et renforcer le rôle international de l’euro, même si cela reste un projet à long terme. Pour promouvoir le rôle de l’euro, l’Europe doit poursuivre l’amélioration de son architecture financière. Elle souffre encore de l’absence d’un secteur financier pleinement intégré. Favoriser un marché des capitaux solide et achever l’Union bancaire sont essentiels pour canaliser l’épargne européenne vers l’investissement en Europe et développer un système financier plus compétitif. En outre, une capacité budgétaire centrale fondée sur une dette commune fournirait un actif sûr aux investisseurs internationaux et allégerait les contraintes financières. L’intégration européenne repose sur la confiance mutuelle, que les Européens ont su démontrer à plusieurs reprises.
L’Europe doit cultiver son rôle de leader mondial en matière de stabilité macroéconomique et de crédibilité, éléments clés du statut de monnaie de réserve. Sur ce point, l’Europe se porte bien, en termes absolus comme relatifs, et les décideurs doivent continuer à agir dans ce sens. La récente évaluation de la stratégie de politique monétaire de la BCE témoigne d’un engagement clair en faveur d’une politique de meilleure qualité.