Un événement du Cercle des économistes
Espace presse

Saisir l’avenir, ensemble

Par Louise Mushikiwabo, Secrétaire générale de la Francophonie

Lire sa biographie

S’il y a une leçon à tirer de l’actuelle crise, c’est celle de l’interdépendance à l’échelle mondiale. Le virus a frappé partout sans faire de distinction. Aucune communauté n’a été épargnée ; aucun pays non plus n’a pu lutter seul. La pénurie de masques en Europe a symbolisé la dépendance économique de l’Asie. Pour répondre à cette demande, une restructuration des filières de production s’est imposée. La mise au point des premiers vaccins dans quelques laboratoires a tenu en haleine les dirigeants de nos États, petits et grands. Et la recherche dans le domaine de la santé a connu des progrès spectaculaires en un temps record.

Face à cette situation, certains ont répondu par des réflexes nationalistes et protectionnistes, allant jusqu’à ébranler des principes qui étaient au fondement même d’organisations basées sur l’intégration. À la libre circulation de personnes, de produits et de services, se sont un temps substitués la fermeture des frontières et la recherche de l’autosuffisance, mesures qui se comprennent en temps de haute contagion.

Mais l’inadéquation des réponses à cette crise inédite a vite été une évidence : le repli sur soi, l’aggravation rapide des inégalités, loin de préparer l’avenir, nous ont mis face aux limites du « monde d’avant », un monde où les « Nations unies » étaient bien divisées. Ce monde où un système multilatéral affaibli, qui servait de plus en plus les intérêts de quelques-unes de ces Nations et marginalisait les autres, ou tout simplement, ignorait leurs besoins vitaux, n’avait pas permis de relever ensemble les défis communs liés à la pandémie. Je ne reviendrai pas sur les atermoiements de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La gouvernance économique internationale orchestrée par l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a été également remise en question. Et que dire de l’ordre politique mondial, alors que, malgré les appels au cessez-le-feu, les affrontements dans certaines régions du monde n’ont pas cessé et certains conflits ont même été exacerbés ?

La crise a apporté la preuve que l’équilibre mondial dépend de la gestion efficace d’une série de situations sanitaires, économiques et politiques qui sont étroitement interconnectées. Cette interdépendance est salutaire. Elle doit stimuler nos mécanismes de coopération, appliqués en premier lieu à l’accès équitable à la vaccination. Car seule l’immunité collective permettra de venir à bout de la pandémie, de relancer l’économie mondiale, d’éloigner le danger d’une fracture irréparable entre le Nord et le Sud et donc, de bâtir « le monde d’après » sur des fondations solides qui nous permettront de « saisir l’avenir ensemble ».

Car aussi longtemps qu’un nombre important d’États ne se sentiront pas parties prenantes, le système multilatéral restera fragile. Et je ne parle pas seulement des pays les moins avancés, mais aussi de certains pays émergents, ou encore des pays de petite ou moyenne dimension…

 

Les pays africains, quant à eux, devraient encourager beaucoup plus des dynamiques régionales, souvent plus aptes à résoudre des problèmes de terrain, en particulier en Afrique où les organisations d’intégration régionale commencent à faire leurs preuves. Ces blocs, à leur tour, devraient à la longue protéger leurs membres contre des chocs régionaux ou globaux et contribuer au développement durable de leurs économies. Ces organisations devraient également pouvoir jouer un plus grand rôle dans la prévention et le règlement des crises, en travaillant intelligemment avec leurs partenaires internationaux.

 

Et à cet égard, je suis intimement convaincue que l’ordre multipolaire ne progressera que dans le cadre d’une nouvelle approche, plus solidaire, en particulier du Fonds monétaire international (FMI) qui devrait permette un allègement de la dette des pays les moins avancés. Ce multilatéralisme plus inclusif passe évidemment par une réforme du Conseil de sécurité, qui doit être élargi aux grandes puissances régionales, et par l’encadrement du véto des membres permanents.

 

Je suis également persuadée que le nouvel ordre mondial ne verra le jour que si l’Europe et l’Afrique dont les destins sont intimement liés, parviennent à établir entre eux un partenariat solide. Ensemble, l’Europe et l’Afrique pourront contribuer à améliorer le bien-être de leurs citoyens, à offrir aux jeunes des opportunités et un encadrement, à définir des règles multilatérales dans différents domaines (droits humains, commerce et investissement, numérique, protection de l’environnement…) et à les défendre dans les enceintes internationales.

 

Enfin, pour être efficace, le multilatéralisme rénové doit prendre en compte tous les acteurs : associer la société civile à la réflexion, à la décision et à l’action ; veiller à ce que les bonnes idées et l’énergie de la jeunesse soient pleinement intégrées ; et, bien sûr, inclure pleinement les femmes, sans l’apport desquelles aucune organisation ne peut se prétendre légitime.

 

Il est indéniable que des organisations d’origine géolinguistique comme celle que je dirige, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), ont toute leur place dans ce nouveau multilatéralisme.

 

La Francophonie, dont l’ambition est de faire dialoguer 88 États et gouvernements, riches d’histoires et de cultures différentes, est elle-même une expérience innovante de multilatéralisme inclusif. Voulue à l’origine par des dirigeants africains, elle réunit des États et gouvernements, aux réalités économiques, sociales et politiques très diverses. Elle crée des passerelles économiques et stratégiques à différents niveaux : qu’il s’agisse des traditionnelles coopérations Nord-Sud ou d’alliances plus inédites, Sud-Sud ou tripartites, dans lesquelles l’OIF joue un rôle de catalyseur, comme c’est le cas pour les « missions économiques et commerciales » qui vont débuter cette année en Asie. Elle dépasse les clivages régionaux traditionnels et contribue à l’élaboration de compromis ou de consensus dans les enceintes internationales.

 

Grâce au processus de transformation profonde que j’ai engagé depuis deux ans et dont je présenterai les premiers résultats aux chefs d’État et de gouvernement réunis en Sommet à Djerba en novembre, l’OIF est en passe de devenir un exemple de multilatéralisme plus inclusif, plus solidaire et plus réactif face aux défis émergents.

 

Notre organisation a mis au cœur de ses préoccupations, non pas la suprématie de la langue française, mais la pluralité des langues et la diversité des cultures, clés de l’inclusion. Elle est naturellement mobilisée sur l’enjeu de l’égalité entre les femmes et les hommes, en particulier pour faire progresser l’éducation des filles et l’émancipation économique des femmes. Cette mobilisation a été à la base de la création du Fonds « La Francophonie avec elles » qui vient en aide à celles que l’actuelle crise a rendues plus vulnérables.

 

La crise du coronavirus a accéléré la transformation interne de notre Organisation, comme de tant d’autres. À l’échelle mondiale, nous devons en tirer des leçons pour gérer l’interdépendance humaine. Je suis sûre que ces enseignements pourront s’appliquer aux grands domaines où cette interdépendance est évidente, qu’il s’agisse du changement climatique, des flux migratoires, du progrès lié au numérique, ou encore du terrorisme.