Un événement du Cercle des économistes
Espace presse

Par Emmanuelle Auriol, membre du Cercle des Economistes

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Le feuilleton de la vaccination l’a bien montré : les Européens n’ont pas le goût du risque. En tout cas loin du niveau que celui que les Etats-Unis acceptent de prendre par exemple. Au-delà de la question de la qualité de la recherche biomédicale sur le continent, parvenir à créer des vaccins en un temps record, comme cela a été accompli outre-Atlantique, aurait nécessité de la part des acteurs privés et institutionnels de s’accorder sur un projet ambitieux sans garantie de réussite. Mais en faisant le choix de la prudence, c’était l’assurance pour ces acteurs de prendre un retard gigantesque dans la conception d’un vaccin, nécessaire autant pour la santé que pour la résilience économique.

Quelle leçon faut-il tirer de cet exemple ? Il est connu depuis longtemps qu’une prise de risque plus importante permet à terme des gains plus grands. L’objectif devrait donc être pour la société d’encourager les acteurs à prendre des risques pour créer plus de valeur ajoutée, tout en mettant en place les filets de sécurité permettant de ne pas faire sombrer économiquement ceux qui ne réussissent pas. Le bon niveau entre risque et sécurité est autant institutionnel que culturel, et il semble que le modèle européen penche un peu trop vers le deuxième. Est-ce lié à la culture Européenne de la recherche du consensus ou à une culture des élites qui les rends réticents au risque ?

La question est donc sur quels leviers pouvons-nous jouer pour encourager, et surtout financer, les idées de rupture, valoriser les profils qui acceptent de prendre des risques, et finalement permettre aux innovations d’avoir lieu chez nous. Les institutions européennes et nationales, aussi décriées soient-elles, jouent un rôle puissant de sécurisation des agents économiques qui doit être saluée. Il faudrait qu’elles se montrent tout aussi efficace dans l’accompagnement des investissements d’avenir et la promotion des esprits innovants. Il est frappant de remarquer, à nouveau, que les vaccins utilisés en Europe aujourd’hui viennent tous de chercheurs immigrés, qui n’ont pas trouvé en Europe les conditions pour développer leurs idées novatrices. Si le modèle américain, sur le plan social et éducatif, est parfois plus inégalitaire, c’est finalement là que les innovations radicales émergent.

Bien sûr, les États, ou l’Europe, ne peuvent pas agir seul, et à la fin ce sont les acteurs privés qui prennent les risques. Leur culture et leur engagement vis-à-vis du risque sont centraux, et c’est de leur audace que viendront les opportunités et idées nouvelles. Pourtant, à l’heure d’une nouvelle reprise de l’économie mondiale, la crainte d’un nouveau choc pourrait les pousser à la prudence. Ces risques, nouveaux ou anciens, ne doivent pas être des freins à l’investissement et la relance. Cette situation s’ajoute à une incertitude préexistante concernant l’avenir de nos sociétés et les investissements que nous devons faire dès aujourd’hui pour le préparer. Le risque est grand pour les entreprises, à l’image de nos sociétés, de se retrouver avec un retard irrattrapable dans quelques années face à ceux qui auront su se projeter dans l’inconnu.  À court terme, comment se projeter dans l’après pour ne pas prendre de retard et sortir du marasme économique ? Quels virages technologiques pourrions-nous rater si nous les laissons passer ? Ce moment difficile est-il finalement justement celui où il faut prendre le risque d’investissements ambitieux ? Pour les financiers et les assureurs, comment accompagner ce mouvement ? Y-a-t-il des freins financiers à lever ? Faut-il au contraire inventer de nouveaux filets de sécurités pour encourager les projets à se lancer ? Plus généralement, quelle peut-être l’ambition des investisseurs à long terme dans un monde de crises qui reviennent cycliquement (2008, 2020…) ? Jusqu’à quel point peut-on prendre des risques dans un monde en transitions ? Quelle ambition peut-on avoir dans un monde qui se recompose ?