Un événement du Cercle des économistes
Espace presse

Par Marie-Aleth GRARD, présidente d’ATD Quart Monde France

Lire sa biographie

Lorsqu’une personne est privée durablement d’emploi et qu’elle veut travailler, la société doit-elle s’efforcer de lui proposer un emploi décent, ou doit-elle attendre que le « marché » le fasse ?

La réponse d’ATD (Agir Tous pour la Dignité) Quart Monde est claire : le « marché » ne peut à lui seul créer suffisamment d’emplois décents. Et le chômage de longue durée est trop destructeur de la personne humaine et de notre démocratie, pour que l’on continue à l’accepter comme on le fait depuis 40 ans.

Depuis sa création en 1957, ATD Quart Monde expérimente non pas des solutions « pour les pauvres », mais de nouveaux socles du droit commun conçus par tous, et ceux-ci sont durables et profitent à tous : le Revenu minimum d’insertion (devenu Revenu de solidarité active), la Couverture maladie universelle, la complémentaire Accès santé, les Territoires zéro chômeur de longue durée, etc.

Cette dernière expérimentation consiste à proposer un emploi utile et décent en CDI et au SMIC à toute personne privée d’emploi depuis plus d’un an, en partant de ses capacités et envies ainsi que des besoins du territoire non couverts. Les activités mises en œuvre ne doivent pas concurrencer des structures privées ou publiques et sont pour leur grande majorité non rentables, bien que souvent très utiles. Une avance de l’État d’environ 20 000 € annuels par poste contribue au financement des salaires, les finances publiques encaissant en retour au moins 15 000 € par an du fait de chaque emploi créé, sous forme de cotisations sociales, TVA, CSG, etc.

Le premier constat des cinq premières années de cette expérimentation est que les personnes exclues de l’emploi veulent vraiment travailler. L’une d’elles disait récemment : « L’argent qu’on peut gagner par le travail, ça nous change la vie, c’est autre chose que d’avoir de l’argent gratuitement. Quand on nous donne des aides, on nous les reproche. » Un emploi décent, c’est une reconnaissance et la garantie d’un revenu stable.

Le second constat est que, si on les pense ensemble, le champ des activités non rentables, mais utiles, est un gisement inépuisable d’emplois. Citons l’exemple de Jean-Michel, expert en mécanique, exclu de l’emploi depuis longtemps et qui vivait dans sa voiture lorsqu’un ami lui a parlé du Territoire zéro chômeur proche qui pouvait le salarier. Jean-Michel a été embauché et a ouvert le premier garage solidaire sur ce territoire rural où la mobilité est un vrai problème.

Le troisième constat est que tous les acteurs peuvent y gagner : les personnes privées d’emploi, bien sûr, mais aussi les TPE-PME qui voient leurs propres activités se développer du fait du dynamisme territorial retrouvé ; les élus locaux ; les structures d’insertion qui sont les premiers partenaires de cette expérimentation, et tous les habitants qui voient peu à peu leur territoire sortir du chômage de longue durée et avancer dans la transition écologique.

Le quatrième constat est que, si l’on n’y prend garde, une telle expérimentation peut malheureusement laisser les personnes les plus éloignées de l’emploi une fois de plus sur le bord du chemin. Certains Territoires ont stoppé les embauches avant d’avoir rencontré toutes les personnes privées d’emploi, et imposent à leurs salariés des objectifs de production que tous ne peuvent tenir, se privant ainsi de l’énergie, de l’expérience et de la créativité des personnes longtemps exclues de l’emploi.

Mais nous continuons de croire qu’en portant une attention particulière à la gouvernance, aux moyens investis dans ces Territoires, à la diffusion des bonnes pratiques qui s’y inventent et à l’évaluation objective de cette expérimentation ; il leur est possible en quelques années de proposer à chacun un emploi utile et décent.

Le cinquième constat est que, face à l’urgence sociale et écologique, il est aussi vital de créer des emplois à l’aide d’autres moyens plus rapides et à plus grande échelle, tels que les « garanties d’emplois verts ». Distinguons bien deux temps : celui de l’expérimentation (comme celle des Territoires zéro chômeur de longue durée) et celui de l’urgence qui nous impose aujourd’hui de créer des emplois, vite et massivement, dans la transition écologique et sociale. Pour vaincre le chômage, il faut faire feu de tout bois et donner à chaque moyen toutes les chances de produire les meilleurs résultats.

C’est la conjugaison de ces solutions qui peut permettre à tous ceux qui le souhaitent d’accéder à un emploi décent, utile et écologique, et qui peut fonder d’autres piliers de notre État social, de nouveaux rapports au travail.