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La finance à impact pour une relance durable

Par Mary-Françoise Renard, Membre associée du Cercle des économistes

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La crise sanitaire et la diversité de ses conséquences, ont posé de façon brutale la question de la survie de nos sociétés. Des millions de morts, un accroissement des inégalités qui marginalisent une partie de la population, le choc économique que cela a entraîné, nous ont laissés démunis.

Devra-t-on affronter d’autres crises semblables à celle-ci ? La vie sur terre est-elle mise en danger par l’activité humaine elle-même ? Une société peut-elle survivre sans solidarité vis-à-vis des plus pauvres ?

La pandémie a rappelé que les problèmes environnementaux ne se résumaient pas au réchauffement climatique, quelle que soit l’importance de celui-ci. L’activité humaine est à l’origine d’une forte perte de biodiversité qui entraînera demain l’apparition de nouvelles maladies.

Comment envisager l’avenir en tirant des leçons de ce que nous venons de vivre ? Comment faire évoluer les fondements mêmes de notre organisation économique et sociale pour que le monde demeure vivable pour tous ? Il est urgent de trouver des réponses pertinentes à ces questions. Dans un contexte où la demande sociale d’inclusion et de protection de l’environnement est forte, il en va de la crédibilité des décisions politiques et donc de la stabilité sociale.

Le développement de la finance à impact est l’une des réponses à ces questions. En introduisant de l’éthique dans les choix économiques, elle prétend servir le bien commun. Pour cela, elle cherche à conduire la finance traditionnelle vers plus de responsabilité vis-à-vis de cette transition de la société. Elle a ainsi une obligation de résultat.

Dans une transition vers un système économique soutenable, des transformations du système bancaire et financier doivent accompagner l’indispensable transformation écologique et sociale des décisions de politique économique.

Cette nouvelle orientation de la finance interroge sur ses fondements et sur ses modalités de fonctionnement.

Comment les objectifs sont-ils définis ?

La finance à impact veut réorienter les choix d’investissement en passant d’une logique stricte de profit à une logique de transformation durable. Avant même la crise sanitaire, le développement de nos sociétés s’est fait avec un coût écologique élevé mettant en péril l’avenir de la planète mais aussi avec un coût sociétal important, privant une partie de l’humanité d’une vie décente. C’est donc une modification profonde qui doit s’opérer, tout en ayant à gérer l’héritage des politiques passées.

Cette nouvelle orientation de la finance est souvent présentée comme étant au service du bien commun.

Qu’est-ce que le bien commun ? Qui le définit ? S’agit-il de servir un intérêt général qui ne pourrait résulter de la somme des intérêts individuels mais représenterait l’intérêt partagé par la communauté?

Cette notion, à l’origine philosophique et religieuse, semble difficile à intégrer à la sphère économique. Elle suppose un consensus sur des choix politiques qui est assez loin d’exister. On peut donc s’intéresser de façon plus précise aux biens communs puisque dès lors que le système financier doit accompagner un changement systémique, il doit répondre à la question de la gestion des communs et de l’inappropriable.

Les biens communs se caractérisent par la non-exclusion (personne ne peut être exclus de leur usage) et la rivalité (le fait qu’une personne consomme ce bien diminue la quantité disponible pour les autres). Considérés au sens large, ils concernent aussi bien la biodiversité, l’air, l’eau, le sol, que l’accès à la santé, l’éducation, la justice ou un patrimoine immatériel.

C’est notamment la non-exclusion des générations futures de l’usage des biens environnementaux que doit assurer la finance à impact. C’est aussi la non-exclusion des plus vulnérables du marché du travail.

Dès lors, le choix des investissements à soutenir peut être éclairé par cette référence aux biens communs qui fournit une grille de lecture. Un projet est-il nécessaire à la survie de la planète ou de la société ? Permet-il que soit défendu l’intérêt général ?

Comment l’impact est-il apprécié ?

Comment apprécier des éléments faisant partie du capital social et environnemental qui ne sont pris en compte ni par la comptabilité publique ni par la comptabilité privée ? Les effets d’un investissement en formation permettant la réinsertion d’une personne sur le marché du travail vont bien au-delà de ce seul fait puisqu’il entraîne par exemple l’amélioration de la qualité de vie de sa famille, la baisse des problèmes de santé… La plupart des bénéfices des projets environnementaux ne sont pas marchands. L’environnement est un bien commun et donc la rentabilité sociale des investissements dans ce domaine est supérieure à la rentabilité privée, à celle dont peuvent bénéficier les investisseurs.

De plus, leur temporalité n’est pas la même que celle des investisseurs. La temporalité d’un projet visant à soutenir la biodiversité n’est pas celle d’un investisseur qui attend un rendement de son investissement. Un investissement permettant l’amélioration de la qualité de l’air peut ne pas avoir d’effets avant plusieurs décennies ; son coût est calculable immédiatement mais pas son bénéfice.

Ces questions doivent-elles être laissées au marché ou prises en main par l’État, ou par des groupes d’usagers ?

Il faut que ces externalités soient internalisées par les entreprises pour devenir des objectifs à part entière. C’est ce que doit permettre la finance à impact en soutenant les projets de ce type et en permettant d’intégrer le temps long.

Pour qu’un investissement soit considéré comme investissement à impact, il faut qu’il relève d’une intention claire d’avoir un impact positif et mesurable, tout en proposant un rendement financier. Ce nouveau programme présente l’avantage de concerner aussi bien des entreprises privées, publiques, que des associations, ou des collectivités locales…

Mais les critères ne sont pas encore bien définis et les mesures de l’impact sont complexes, même si on utilise une référence préexistante comme le Programme de développement durable des Nations-Unies. L’attractivité pour les épargnants dépend sans doute en partie de l’existence d’outils susceptibles d’appréhender la réalité de l’impact. Toutefois, la multiplication des indicateurs et des règles pourrait paralyser le processus et la démarche est donc un exercice d’équilibriste.

La question se pose aussi de l’articulation entre ces nouveaux modes de financement et la fiscalité environnementale existante. Une bonne articulation permettrait sans doute d’améliorer l’efficacité d’une fiscalité parfois difficile à mettre en place.

Enfin, la question de la taxinomie, incluant les questions sociales, est au cœur de l’application de ce programme. Elle ne peut sans doute s’envisager qu’en articulant le niveau local, souvent le plus pertinent pour définir des critères d’impact, et le niveau supranational, européen, la commission européenne ayant déjà avancé sur une classification des produits financiers « verts ».

Compte tenu de l’importance des enjeux, toutes ces questions soulignent à quel point ce programme est stimulant, représente un chantier d’envergure et peut aider à la transformation de la société s’il évite l’écueil de confondre exigence et bonne conscience.