Un événement du Cercle des économistes
Espace presse

Par Hélène Rey, membre du Cercle des économistes

Lire sa biographie

 

Dès le début de la pandémie de Covid-19, les appels à relocaliser et réindustrialiser la France se sont multipliés. Face à la fermeture des frontières, la réduction brutale et drastique du commerce mondial et des échanges internationaux, les pénuries de matières premières ou de produits importés, la faiblesse et le déclin du secteur industriel en France est de plus en plus pointée du doigt. Alors qu’au début des années 2000 les exportations françaises et allemandes de produits pharmaceutiques et appareils médicaux étaient similaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui[1]. Le solde du commerce extérieur français se détériore régulièrement. Nos cœurs de spécialisation reposent maintenant sur un nombre très limité de secteurs comme l’aéronautique et le nucléaire. Or les filières industrielles peuvent être des gisements de bons emplois, permettre le développement des territoires et elles peuvent être des viviers d’innovation au sein de leur écosystème. Comment constituer de nouvelles filières performantes? Peut-être pourrons-nous nous entendre pour dire que nul ne sert de courir après les industries qui se sont délocalisées pour profiter de coûts bas à l’international. Il ne sert à rien de produire du paracétamol sur le sol français. On peut diversifier nos fournisseurs pour augmenter notre résilience et assurer la continuité de nos approvisionnements en cas de crise mais il serait contre-productif de tout produire en France (à supposer que cela soit même possible).

Peut-être pourrons nous aussi nous entendre sur le fait que le futur de l’industrie semble résider plus dans l’innovation et le développement de techniques et d’industries d’avenir que sur la ressuscitation d’activités en déclin. Cette tendance devrait être accélérée par les grandes mutations que nous traversons : la hausse salutaire du prix du carbone qui doit continuer, la digitalisation, l’intelligence artificielle, les nouvelles sources d’énergie. Certaines de ces mutations ont un cap bien défini par le bien commun comme la décarbonation, d’autres, comme la digitalisation peuvent être déclinées de diverses façons et appliquées dans différents secteurs avec des intensités différentes. Dans ce monde changeant, il faudrait que le filet social s’applique aux travailleurs plutôt qu’aux emplois et s’assurer que les anxiétés liées aux transitions soient gérables par les gens. Cela suppose peut-être aussi un changement des mentalités. Les travaux d’Alexandra Roulet (INSEAD) par exemple suggèrent que les pertes d’emploi au Danemark où le système d’assurance social et de réinsertion est très développé n’ont pas les effets néfastes sur la santé physique ou mentale qu’elles ont aux États Unis où la protection sociale est minimale. Nous devons aussi avoir à l’esprit qu’il est faux de penser que la robotisation conduise forcement à des pertes d’emplois.  Aghion, Antonin, Bunel, Jaravel (2020)[2] montre que dans le secteur manufacturier une automatisation des tâches a conduit à une baisse des prix, une augmentation des ventes et de l’emploi, y compris pour les moins qualifiés. Ils attribuent cet effet à un gain de part de marché par rapport à des producteurs étrangers. Donc, dans certains cas, taxer les robots pourraient induire des pertes d’emploi.

Les chercheurs, inventeurs, travailleurs, entrepreneurs, investisseurs doivent avoir les motivations, les incitations et les moyens de développer les nouvelles technologies qui renouvelleront notre économie et la verdiront. Nous devons nous demander quelles sont les politiques publiques qui pourrait faciliter l’innovation, la structuration de filières et la création de bons emploi.

Nous pourrions discuter plusieurs pistes. Notre problème est peut-être le capital humain et l’éducation dans un monde ou l’éducation et la formation sont de plus en plus importantes sur le marché du travail. A ce titre, les graphes ci-dessous sont assez alarmants et peut-être pourrions-nous nous demander pourquoi dans un pays ou l’État dépense beaucoup, le système éducatif ne semble pas au niveau pour la vaste majorité des élèves, alors que même si l’on se base sur un point de vue uniquement économique les rendements des investissements dans l’éducation sont énormes. Que peuvent faire l’État, les universités, les écoles et le secteur privé pour viser l’excellence dans l’éducation et la formation?  Notre problème est peut-être de ne rien faire ou presque pour augmenter le nombre de femmes dans les formations scientifiques, dans l’intelligence artificielle, le numérique pour catalyser des changements dans notre société et nos entreprises. Notre problème est peut-être les pratiques discriminatoires de notre marché du travail et de notre société en général qui nous coupent de sources de talents.  Notre problème est peut-être de vaincre notre inhabilité à développer des campus universitaires où recherche fondamentale et recherche appliquée s’enrichissent mutuellement et certains chercheurs et étudiants côtoient l’industrie et le capital-risque.  Notre problème est peut-être de remodeler notre structure fiscale, les impôts de production étant par exemple toujours élevés?  Ou d’améliorer notre protection sociale pour protéger mieux les individus et moins les emplois du passé ? Peut-être faudrait -il aussi transformer profondément le dialogue et les rapports entre syndicats de travailleurs et de chefs d’entreprises pour améliorer la confiance entre concitoyens (les Français étant toujours une anomalie internationale dans ce domaine). Notre problème est peut-être le manque d’intégration du marché européen dans des domaines clés comme les services et le digital ce qui a pour conséquence de ne pas offrir une perspective suffisamment large pour permettre aux entreprises innovantes de se développer, comme elles le font aux États-Unis et en Chine. Notre problème est peut-être que nous ne pratiquons pas au niveau européen des stratégies suffisamment agressives contre le monopole des grandes entreprises de la Tech en particulier. Notre problème est peut-être que nous ne sommes pas assez unis ou stratégiques en Europe pour faire face à la rivalité technologique qui se déploie entre les États Unis et la Chine.  Notre problème est peut-être qu’il nous manque un équivalent européen de la BARDA où des moyens importants sont investis pour développer des technologies de rupture.  Quid de notre gouvernance de l’éducation, de la recherche et de l’innovation en général ?

Surtout, nous pouvons peut-être nous accorder sur le fait qu’une réponse populiste à ces sujets importants ne fait qu’empirer les choses, d’un point de vue économique et sociétal comme le montrent avec des données historiques Funke, Schularick and Trebesch (2021)[3] et qu’il est par conséquent important d’agir. Si nous voulons être concret quelle proposition prioritaire faites-vous ?

Source : Michala Marcussen (LBS présentation 2021)

[1] Comment repenser notre politique industrielle?

[2] What are the Labor and Product Market Effects of Automation? New Evidence from France

[3] The cost of populism: evidence from history