Monsieur Le Monde

Le bilan du FMI

« La raison pour laquelle les gens trouvent difficile d’être heureux, c’est quils trouvent le passé mieux quil l’était, le présent pire quil ne l’est, et le futur moins résolu quil ne le sera »Marcel Pagnol s’est invité indirectement aux Rencontres Economiques d’Aix-en-Provence, repris par Christine Lagarde. La directrice générale du FMI, s’est inspirée de l’écrivain provençal pour appuyer son propos : il faut relancer utilement la croissance en agissant sur l’offre, et donc sur l’investissement public.

ALLOCUTION SPÉCIALE CHRISTINE LAGARDE, FONDS MONÉTAIRE INTERNATIONAL (15)

Pragmatisme géographique. La crise économique de 2008 a frappé de plein fouet les économies et a diminué de manière drastique les financements publics et privés. « On constate dans toutes les économies du monde un déficit d’investissement ». Un trait commun pour les pays qui ne doit cependant pas entraîner une uniformité de traitement : « Le FMI analyse au cas par cas chaque pays afin d’augmenter la dépense publique dans les domaines concernés : infrastructures, éducation, santé. Il faut absolument étudier les situations spécifiques de chaque pays ». Faible taux d’emprunt et investissement pourraient certainement relancer la croissance dans les pays développés. Ces conditions ne sont cependant pas communes à toutes les économies.

Tour d’horizon de l’économie mondiale. Les chiffres du FMI, qui seront prochainement publiés, prévoient que l’activité économique faible des premiers mois de l’année, due à des facteurs temporaires, se relance dès septembre et s’accélère en 2015. Les pays développés comme les Etats-Unis, les membres de l’UE ou le Japon connaissent une reprise modérée qui devrait s’accentuer rapidement si les politiques budgétaires sont menées à bien. Les pays émergents, au contraire, voient s’installer un ralentissement des exportations et une baisse légère de la croissance. Cependant, pour le cas de la Chine notamment, cette diminution se fait en faveur d’une croissance plus qualitative et plus soutenable.

Avis de tempête. Christine Lagarde évoque les risques majeurs qui pourraient venir perturber la relance mondiale. Une inflation basse et durable serait désastreuse et la BCE a notamment pris plusieurs mesures contre cette possibilité. La volatilité résurgente liée à la normalisation de la politique monétaire européenne et les taux d’endettement élevés issus de la crise nécessitent de poursuivre les réformes financières. Le maintien du chômage à un taux élevé, notamment pour les jeunes, ainsi que certains facteurs géopolitiques comme ceux qui existent actuellement en Ukraine ou en Afrique subsaharienne viennent perturber les possibilités de relance. « L’activité mondiale prend de l’élan, la croissance potentielle est plus faible car l’investissement reste à taux bas », explique Christine Lagarde.

L’heure du bilan. La crise de 2008 a pesé durement sur les investissements. A la fin de l’année 2013, le PIB global du G20 était inférieur de 8% par rapport aux prévisions et les investissements sont tombés à 20% en dessous de leur taux prévus. La demande est faible et le financement recule dans trois secteurs-clés : les entreprises se concentrent sur le désendettement et cessent tout investissement, le logement perd largement de son attractivité et les investissements publics diminuent largement au profit de l’objectif de stabilisation de la dette. Ces facteurs renforcent des tendances déjà présentes avant la crise économique : par rapport aux années 1980, le PIB des pays développés a baissé de 10 points et celui des pays en voie de développement de 20 points. « L’investissement privé devrait normalement repartir : le coût du capital a diminué grâce aux politiques monétaires, ainsi que le désendettement des entreprises du secteur privé. La situation d’incertitude dans laquelle se trouvaient les entreprises s’est dissipée, même si elle est contrebalancée par le surgissement de nouveaux doutes géopolitiques qui freinent l’investissement », annonce Christine Lagarde.

Propositions de relance. Les besoins diffèrent selon les économies et il est impossible de proclamer un réinvestissement général. L’accent est mis sur les infrastructures, dont le besoin varie largement selon les pays. En effet, la dépense globale en infrastructures de base est de 2 700 milliards de dollars par an alors qu’elle devrait être de 3 700 milliards. Les difficultés de mise en œuvre entrent également en jeu, et l’une des solutions serait de conserver les acquis des dernières années sur les politiques monétaires. Le FMI garde donc sa ligne de conduite, préconisant des politiques macroéconomiques dans les pays avancés, devant ainsi accompagner la croissance en dynamisant l’investissement privé. Dans les pays en voie de développement, il souhaite améliorer la qualité des financements et les soutenir durablement. Une politique budgétaire doit donc renforcer l’investissement dans les infrastructures et, associée à un faible taux d’emprunt – garanti par une demande faible, une dette soutenable et une capacité à mettre en œuvre les projets –, elle pourrait largement relancer la croissance et diminuer – ou du moins stabiliser – l’endettement.

Investir pour l’avenir. « Si l’investissement public est bien réalisé, la croissance qui s’en suivrait pourrait contrebalancer le ratio de la dette publique par rapport au PIB. Ses effets positifs sont particulièrement sensibles lorsque les capacités de production sont sous-utilisées », explique Christine Lagarde. Des investissements de qualité sont donc nécessaires, c’est-à-dire à même d’augmenter la productivité des pays concernés. « Si le choix est bien fait dans les financements, cela peut entraîner une augmentation équivalente à 5 points de PIB pour les pays développés et 8 points pour les économies à faibles revenus ». Evidemment, un investissement parallèle des entreprises privées serait un atout considérable. La solution semble donc d’encourager le financement et de consolider les partenariats public/privé, ainsi que l’utilisation des marchés locaux de capitaux.

Redressement fragile. Malgré les ripostes à la crise, la relance est modérée, laborieuse, fragile. « Il faut renforcer les capacités d’offre afin de muscler la reprise : l’occasion se présente pour relancer les investissements et la croissance sans menacer la viabilité des finances publiques », explique Christine Lagarde. Un projet que se propose de mener à bien le FMI, dont l’esprit se retrouve dans la citation finale de sa présidente, empruntée à Albert Camus : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ».

Fanny Attas