L’entreprise sera réactive ou ne sera pas.

Quel avenir pour l’entreprise ? Enjeux environnementaux, juridiques et technologiques, les entrepreneurs sont en ordre de bataille pour ce qui s’annonce être une transition économique à la hauteur de la révolution industrielle. L’entreprise n’aura d’autre choix que de s’adapter à la nouvelle donne numérique. Une conférence passionnante qui a enthousiasmé l’auditoire.

Jean-Paul Betbeze, Cercle des économistesFlou et incertitude. Le postulat de départ de l’ensemble des conférenciers de cette session peut paraître une évidence, mais une évidence qui se doit d’être rappelée : le monde du 21e siècle est bien moins lisible que celui du siècle précédent. Il est plus complexe d’imaginer l’avenir, d’inventer demain. Arun Sundararajan, professeur à l’Ecole de Commerce de l’Université de New York, résume parfaitement ce point en posant une question simple : si les martiens existaient, comment verraient-ils notre système économique ? Les étudiants des années 1970 – 1980, rompus à l’exercice, auraient répondu que l’économie mondiale se caractérise par des firmes concentrant tous les agents économiques en leur sein, et que le marché se définit par des transactions entre ces organisations.
Or, aujourd’hui, les avancées technologiques ont permis une forte augmentation des transactions ainsi qu’une réduction des coûts. Le monde est devenu plus dynamique, mais aussi plus incertain. Internet a brisé le modèle traditionnel d’entrepreneur. Alexis Marraud des Grottes va plus loin et n’hésite pas à emprunter aux théories réalistes des Relations Internationales, soulignant l’absence de hiérarchie et de cadre légal à l’échelle mondiale. Cela, aussi, contribue à rendre moins déchiffrable et plus incertain le monde du 21eme siècle.

S’adapter pour survivre. Dans ce contexte, l’entreprise moderne n’a pas d’autre choix que d’évoluer si elle désire se pérenniser. L’entrepreneur avisé adapte ses systèmes juridiques à la disparité judiciaire qui caractérise les relations internationales, chaque pays disposant de sa propre législation. Néanmoins on constate une mutation des lois nationales qui sont de plus en plus enclines à favoriser la mobilité des acteurs économiques. Sur ce point, l’entreprise doit pouvoir être flexible en délocalisant, par exemple, certaines de ses activités. Il convient aussi d’anticiper la création de lois extraterritoriales qui permettent aux Etats de légiférer sur les entreprises étrangères. S’adapter aux normes étatiques, oui, mais pas uniquement. Arancha Gonzalez, directrice exécutive du Centre International de Commerce, met en évidence plusieurs problématiques sensibles sur lesquelles les entreprises devront s’ajuster si elles veulent survivre. Les problèmes environnementaux, la mutation des marchés, et la multi-polarité du monde sont ainsi trois importants facteurs d’incertitude. Pour s’en protéger,« we need to think ahead of the curve », souligne Bing Xiang, professeur et doyen fondateur de l’école de commerce Cheung Kong, « and be well prepared ». Réactivité, adaptation : les maîtres mots de cette conférence.

« Small is beautiful ». Quelle forme prendra l’entreprise dans les années à venir ? Question épineuse. Une grande tendance semble néanmoins se dégager. De grandes plate-formes devraient centraliser une partie des services sur lesquels reposeraient une multitude de petites entités et d’entreprises spécialisées. Ces petites entreprises partageront les locaux et les infrastructures des plate-formes. La transition est déjà amorcée à travers la consécration de sites tels que Blablacar, Facebook, Airbnb, mais aussi à travers l’émergence de sites de financement participatif. Or, cette situation crée un certain nombre de risques. La polarisation du pouvoir due à la mosaïque de petites entreprises pourrait amener à une hégémonie des grandes plate-formes. Le rôle des Etats s’en verrait affaibli ; les comptes Facebook et LinkedIn, par exemple, sont de plus en plus utilisés comme preuves d’identité, pouvoir historiquement réservé aux gouvernements. Rien ne dit que ce processus s’arrêtera là.

Rééquilibrer la distribution du pouvoir. Un point positif nuance le tableau. Phillippe Wahl, PDG de La Poste, rappelle que l’entreprise du 21e siècle sera celle qui sera au service de ses clients, répondra à un rôle précis, aura une véritable utilité publique. Depuis quelques années le consommateur revient progressivement au centre des préoccupations de l’entrepreneur, notamment en raison de l’expansion d’internet qui permet une meilleure comparaison des produits. La conséquence directe est l’amélioration qualitative globale. Il faudra, aussi, songer à modifier les rapports de force entre salariés et entrepreneurs, repenser le système hiérarchique de l’entreprise. Olivier Klein souligne à ce propos que les entreprises verticales n’ont pas d’avenir, car moins légitimes auprès de leurs travailleurs. « Les salariés ont besoin de sens », martèle-t-il. Il est clair que, face aux nouveaux challenges, l’entrepreneur et son entreprise doivent plus que jamais se préparer à évoluer. « Il est venu le temps des entrepreneurs », selon Philippe Wahl. L’avenir confirmera ou infirmera cette assomption.

Baptiste Salmon