Europe brisée, Europe endettée, Europe mal-aimée… Investissez !

Quelle est la situation de l’Europe ? Doit-on y investir, s’investir, l’investir ? Croissance terne, chômage chronique, dettes galopantes… la santé économique de l’Union Européenne rend les investisseurs frileux. Comment y remédier ? Un thème passionnant traité par des intervenants d’envergure.

Jean-Dominique SENARD_IEM3121

Une reprise qui se fait désirer. « Le modèle économique européen est menacé », selon Pascal Lamy (ancien directeur général de l’OMC). Le panel d’intervenants ne peut réellement lui donner tort. L’Europe ne s’est toujours pas remise de la crise. Les prévisions de croissance sur le long terme sont de 1,5% par an, tandis que les Etats-Unis pourraient atteindre 3% et les pays émergents 6%. Le cercle vicieux est enclenché, se traduisant par un chômage élevé, un déficit d’investissement qui se creuse, une dette étatique toujours plus grande. La productivité, elle, augmenterait de 2% par an sur le long terme, 1,5% en prenant en compte le non-renouvellement de la population européenne, un chiffre bas comparé à la période ayant précédé la crise. Il existe par ailleurs un vrai degré d’incertitude et d’anxiété économique qu’il sera difficile de combattre. L’atmosphère de défiance vis-à-vis des institutions politiques noircit davantage le tableau. Patrick Artus (Cercle des Economistes) confirme que les états ne pourront mettre un terme aux mesures d’austérités – qui ont des conséquences néfastes sur la croissance – qu’après une vraie réforme des institutions européennes.

Stabilité et… stabilité. Les réformes doivent se faire en profondeur, au niveau du « moteur » plutôt que « de la carrosserie », souligne Pascal Lamy. A l’échelle communautaire, il convient de réformer le marché intérieur et les infrastructures. Investir, oui, mais dans une Europe réformée, compétitive. L’enjeu de la compétitivité est de taille au regard de la montée en puissance des pays émergents. Les conférenciers insistent sur l’importance de la stabilité dans cette optique. Une stabilité budgétaire, dans le but de poursuivre le désendettement en particulier dans la zone euro, et une stabilité financière, à travers un meilleur contrôle de la finance et une attention particulière aux risques de bulles. Plus ambitieux, l’Europe doit « compléter » le marché unique, grâce à la signature de traités de libre-échange avec les Etats-Unis ou le Japon, une plus grande flexibilité des structures, et la considération de l’importance du marché digital.

Ne pas négliger l’aspect politique. Le rôle des institutions politiques est essentiel. Unifier les politiques économiques des Etats européens devient une nécessité. Ce processus peut s’appuyer sur la revalorisation du couple franco-allemand, rappelle Gherard Cromme (PDG de Siemiens), mais seulement si la France redevient compétitive et l’égale de l’Allemagne. A l’échelle européenne, il convient d’harmoniser les politiques fiscales et rendre la fiscalité de l’épargne plus incitative, tout en harmonisant la législation du travail. Réévaluer la politique énergétique et industrielle est un objectif crucial. Mieux, il faudrait que le politique reprenne le pas sur l’économique, en recentrant le pouvoir décisionnel. Comment 28 pays peuvent-ils réellement prendre des décisions en commun ? Peter Ricketts (ambassadeur du Royaume-Uni en France) défend le retour du principe de subsidiarité. Il laisse cependant l’auditoire dubitatif lorsqu’il soutient que le Royaume-Uni se sent « profondément européen ».

Consistance, investissement, espoir. L’Europe doit rester consistante et agir dans l’optique des mesures qu’elle a annoncées. Lorsque la France et l’Allemagne, en 2003, brisent leur promesse de rester en dessous des 3% de déficit par an, les deux pays signent l’arrêt de mort du respect des traités européens. Il faut savoir rester consistant. Plus important encore, il convient d’agir, comme le martèle Patrick Artus, ne pas « faire des machins pour les intellectuels ». Agir, c’est investir. Le groupe Michelin sert d’exemple en investissant massivement en Europe, car le vieux continent reste un lieu d’investissement particulièrement qualitatif. Abandonner l’Europe, « il n’en est pas question », pour Jean-Dominique Senard (PDG de Michelin), ovationné par l’audience. Peut-on espérer que d’autres chefs d’entreprises mènent la même réflexion ? Lorsque Gherard Cromme utilise comme exemple la défaite française en quart de finale de la Coupe du Monde, il essuie quelques huées. Le sourire aux lèvres, il reprend : « Je note cependant que l’Equipe de France Espoir a remporté son match contre celle de l’Allemagne, 3-1, il y a quelques semaines ». Et d’ajouter : « Vous voyez, il y a toujours de l’espoir ».

Baptiste Salmon