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L’innovation au service des sociétés


Tech | Mondialisation

Écrit pour la session 28 « L’innovation au service des sociétés »

La mixité au service de l’innovation

Si la notion de souveraineté fait référence à l’exercice du pouvoir sur un territoire donné, la souveraineté industrielle concerne surtout l’idée d’indépendance ; une nation peut-elle satisfaire ses besoins sans dépendre d’une autre nation ?

J’ai souhaité aborder le thème de l’innovation au service des sociétés à travers le prisme de la mixité. Innover oui, mais dans quel but ? L’innovation au service de cette seule innovation n’aurait pas de sens. Une innovation positive est une innovation qui combine performance économique et financière avec responsabilité sociale et écologique, fait de la diversité et de l’inclusion ses priorités et offre une vraie qualité de travail à ses équipes. Innover pour se rapprocher toujours plus de l’organisation idéale finalement. C’est le parallèle que je fais avec la Relation Client : si on ne se reposait que sur l’IA, sans la complémentarité avec les émotions humaines, le secteur n’aurait aucun avenir. De même, tout progrès n’a aucune raison d’être s’il continue d’ignorer l’existence de 50 % de la population mondiale.

La diversité et la mixité des équipes ne devraient même pas être un sujet, mais plutôt naturellement la norme, tant il a été prouvé qu’elles permettraient une meilleure performance. La diversité et la mixité en tant qu’innovation impacteraient positivement tous les aspects de la vie de des organisations, et nous permettraient de répondre plus efficacement aux défis technologiques, sociaux et environnementaux si elles sont effectivement mise en place en leur sein.

Angélique Gérard

C’est ce qu’il faut comprendre, le faible nombre de femmes dans certaines industries à haute valeur ajoutée comme le numérique et la tech ne défavorise pas uniquement les femmes mais tout notre écosystème économique et donc la société dans son ensemble.

Le faible nombre de femmes dans nos industries, notamment dans les secteurs du numérique et des STEM, constitue une réel perte aujourd’hui. En 2020, les femmes représentaient 24 % des professionnels dans les STEM au niveau mondial. En France, dans le secteur des sciences pures, elles sont entre 20 et 30 %. Par ailleurs, la proportion des femmes françaises ingénieures (26 %) est bien inférieure à la moyenne mondiale. Et les récentes réformes dans l’éducation risquent fortement de réduire ce pourcentage… Dans la tech, la gente féminine n’est pas mieux lotie : c’est un peu plus de 10 % de femmes qui conçoivent des algorithmes.

Tout l’enjeu réside dans le fait qu’il s’agit d’une problématique pas si évidente que cela à appréhender. Quand une entreprise n’est pas digitalisée, la perte saute aux yeux et paraît évidente. Ça l’est moins pour la représentation des femmes, alors que les conséquences sont pourtant tout aussi importantes : reproduction des inégalités sociales et économiques, concentration de valeurs et renforcement des schémas d’exclusion.

Le fait d’avoir autant de femmes que d’hommes rendrait nos entreprises plus compétitives et plus innovantes, notamment en captant et analysant les données qui concernent les clientes et en proposant des services et des produits adaptés à leurs usages.

L’absence de données sur les femmes a un coût

Il est évident que l’absence de recueil des données sur les femmes n’est ni malveillante ni délibérée. Elle est simplement le résultat d’une culture qui existe depuis des millénaires, une façon de penser sélective. Et c’est en cela qu’il faut informer largement. Car combien cela coûte à une entreprise de choisir le « masculin par défaut » ? Un manque à gagner impressionnant aujourd’hui : une étude de la Commission européenne publiée en 2018 démontre qu’attirer davantage de femmes sur le marché du travail du numérique, au-delà de combler une pénurie de compétences, pourrait injecter 16 milliards d’euros supplémentaires dans l’économie européenne. Et l’Institut européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes a quant à lui mesuré que combler l’écart entre les sexes dans l’enseignement des STEM aurait un effet positif sur la croissance économique, contribuant à une augmentation du PIB européen par tête allant de 0,7 % à 0,9 % d’ici 2030 et de 2,2 % à 3 % d’ici 2050.

Les données très rares sur les femmes se constatent également hors du champ d’action du numérique. Et c’est clairement dommageable pour les entreprises et pour la clientèle des entreprises. Les risques graves liés à la commercialisation de produits non adaptés sont réels et concernent tous les secteurs, du numérique, à la santé en passant par le monde du travail au sens large.

Les exemples sont légion : des produits commercialisés comme étant non genrés qui s’avèrent trop grands donc difficilement utilisables par les femmes, comme le smartphone, les montres intelligentes, les casques de réalité virtuelle. Dans le secteur automobile, les ceintures de sécurité qui sont dessinées pour être adaptées pour une taille moyenne de 1m77 et 76 kg, ou encore le logiciel de reconnaissance vocale de Google, meilleur outil vocal sur le marché à l’heure actuelle, qui a 70 % de plus de chances de reconnaitre correctement une voix masculine plutôt qu’une voix féminine[1], et qui peut engendrer par exemple des erreurs médicales graves, puisqu’il s’agit d’un outil couramment utilisé par les médecins urgentistes.

Dans le domaine de l’intelligence artificielle, limiter les développeurs à un seul genre met les entreprises « dans une situation qui équivaut à souffrir de la myopie ». (Margaret Mitchell – principales chercheuses chez Google).

Et demain, lorsqu’il faudra inévitablement rétablir l’équilibre, cela risque de coûter très cher pour réinjecter les données sur les femmes. Car notre monde ne peut se développer sur un modèle qui dépend d’algorithmes construits sur des données déséquilibrées et erronées à 50 %. A contrario, quel serait le montant des économies réalisées si les entreprises prenaient en compte des données complètes au début de toute conception ? Probablement colossales.

C’est ce qu’il faut comprendre, le faible nombre de femmes dans certaines industries à haute valeur ajoutée comme le numérique et la tech ne défavorise pas uniquement les femmes mais tout notre écosystème économique et donc la société dans son ensemble.

Dans le numérique, on ne l’imagine pas forcément : le revirement est possible. De la même façon que le numérique se transforme en un miroir des préjugés humains, il est possible de corriger les biais via le codage. « C’est là la force et la faiblesse de la réutilisation du code : les biais se propagent vite mais leur correction peut rapidement toucher beaucoup de personnes. […] Cette technologie a des biais sexistes, mais elle peut aussi être mise au service d’une société plus égalitaire. Il s’agit de savoir à quel point nous voulons utiliser la technologie pour changer la réalité. En sachant qu’il est peut-être plus facile de modifier des lignes de codes que les mentalités. », affirment Aude Bernheim et Flora Vincent[2], docteures en sciences et fondatrices de l’association Wax Science, pour la promotion de la mixité dans les sciences.


[1] Femmes invisibles, comment le monde est fait par et pour les hommes, Caroline Criado Perez, first Edition, 2019

[2] L’intelligence artificielle, pas sans elles !, Aude Bernheim et Flora Vincent, éditions Belin, 2019