Un événement organisé par
Espace Presse

Croissance soutenable : en quoi consiste-t-elle ?


On peut définir une croissance soutenable globalement comme un sentier de croissance sur lequel il n’y a pas de divergence d’une variable centrale.
Une divergence, c’est-à-dire une hausse ou une baisse sans limite d’une grandeur économique, sociale, environnementale, peut survenir par exemple :

  1. si le stock de CO2 émis ne se stabilise pas ;
  2. si la biodiversité est tout le temps réduite ;
  3. si la demande de matières premières rares, d’eau…, s’accroît sans limite ;
  4. si les inégalités de revenu ou de patrimoine augmentent continûment, si les prix des actifs financiers ou immobiliers sont continuellement croissants ;
  5. si l’efficacité des systèmes éducatifs ou de santé se dégrade constamment ;
  6. si les taux d’endettement public ou privé augmentent perpétuellement.

Le Monde est donc aujourd’hui très loin d’assurer la soutenabilité de sa croissance, puisqu’aucune de ces conditions n’est remplie.
Cela pose la question de l’insuffisance des politiques économiques, sociales, environnementales qui sont menées.

En quoi consiste une croissance globalement soutenable ?

Une économie est sur une trajectoire de croissance globalement soutenable s’il n’apparaît pas sur cette trajectoire de divergence (de hausse ou de baisse constante) d’une variable économique, sociale, environnementale importante.
Donnons quelques exemples d’évolutions qui ne sont pas soutenables, en utilisant cette définition qui relie la soutenabilité avec la stabilité de certaines variables clés :

  • la soutenabilité environnementale n’est pas atteinte si le stock de CO2 (et des autres gaz à effet de serre) émis dans l’atmosphère ne se stabilise pas, si la biodiversité est sans arrêt réduite, si la demande de matières premières (matières premières agricoles, métaux nécessaires à la transition énergétique) ou d’eau s’accroît sans limite ;
  • la soutenabilité sociale n’est pas atteinte si les inégalités de revenu ou de patrimoine s’accroissent constamment, si la pauvreté progresse, si la mobilité sociale recule, ou si l’efficacité des systèmes éducatifs et de formation professionnelle ou du système de santé se dégrade ;
  • la soutenabilité financière n’est pas atteinte si les taux d’endettement public ou privé sont en hausse constante, si les prix des actifs financiers ou immobiliers s’accroissent plus vite que les prix des biens et services.
    Une trajectoire de croissance globalement soutenable assure donc la soutenabilité environnementale, la soutenabilité sociale et la soutenabilité financière des économies, c’est-à-dire est caractérisée par l’absence d’évolutions qui sont impossibles à poursuivre dans le long terme.

    Une trajectoire de croissance globalement soutenable assure donc la soutenabilité environnementale, la soutenabilité sociale et la soutenabilité financière des économies, c’est-à-dire est caractérisée par l’absence d’évolutions qui sont impossibles à poursuivre dans le long terme.

    Soutenabilité environnementale

    La soutenabilité environnementale est obtenue en particulier :

    • si le stock de CO2 émis est stabilisé, c’est-à-dire si les émissions nouvelles de CO2 deviennent nulles. Les graphiques 1a/b montrent que les émissions de CO2 restent encore très élevées aujourd’hui ;
    Graphique 1a Graphique 1b Concentration en CO2 (en ppm) Monde : émissions de CO2
    (en millions de tonnes)
    • si la biodiversité arrête de reculer. Ce n’est pas le cas : en 2021, sur 134 000 espèces animales recensées par l’union internationale pour la conservation de la nature, 37 000 sont menacées d’extinction ;

    la production de produits agricoles, de matières premières, en particulier les métaux nécessaires à la transition énergétique, n’est pas sur une tendance d’accroissement sans limite.

    Ce n’est pas le cas pour les métaux nécessaires à la transition énergétique, comme le montre l’évolution de leurs prix (graphiques 1c/d) ;

    • si la consommation mondiale d’eau n’excède pas les ressources en eau ; ce n’est pas le cas : le surpompage des nappes phréatiques atteint 160 milliards de m3 d’eau ; 500 millions de personnes sont atteintes par la désertification ; la quantité d’eau douce disponible est passée, en raison de la croissance démographique, de 12 900 m3 par personne en 1970 à 6 000 m3 par personne aujourd’hui.

    De tout ceci, il découle que la soutenabilité environnementale est loin d’être assurée.

    Soutenabilité sociale

    La soutenabilité sociale n’est pas assurée :

    • si les inégalités de revenu augmentent, ce qui est le cas aux États-Unis et au Japon (graphique 2a) ;
    Graphique 2a Indice de GINI des inégalités de revenu après redistribution (échelle de 0 à 1)
    • si les inégalités de patrimoine augmentent, ce qui est le cas aux États-Unis, dans la zone euro et au Royaume-Uni (graphique 2b) ;
    Graphique 2b Proportion du patrimoine national détenue par les 1 % d’individus possédant le patrimoine le plus important (en %)
    • si la pauvreté progresse ; ceci s’observe aux États-Unis et dans la zone euro (graphique 2c) ;
    Graphique 2c Proportion de la population en dessous du seuil de pauvreté (seuil : 60 % du revenu équivalent médian)
    • si la mobilité sociale recule ; quand on examine la proportion d’enfants de parents peu qualifiés qui sont qualifiés, on voit un progrès dans tous les pays du niveau de qualification (Tableau 1), mais la mobilité sociale perçue est encore très faible (par exemple, en France, 25 % des personnes se sentent socialement déclassées par rapport à leur père) ;
    Tableau 1 : Pourcentage de la population (25 à 64 ans) au niveau d’éducation inférieur au 2e cycle du secondaire, Source OCDE, NATIXIS
    • si la qualité des systèmes éducatifs et de formation professionnelle ou de santé se dégrade. Si on regarde les enquêtes PISA de l’OCDE (Tableau 2) ou le pourcentage de jeunes déscolarisés et sans emploi (graphique 2d), on voit une dégradation de la qualité du système éducatif, par exemple au Royaume-Uni, en France, en Espagne, en Italie.
    Tableau 2 : Enquête PISA de l’OCDE score global (par score décroissant de la dernière enquête), Sources : OCDE, NATIXIS
    Graphique 2d Proportion de jeunes déscolarisés sans emploi de 15 à 29 ans (NEETs*, en %)

    Au total, la soutenabilité sociale n’est pas vérifiée dans la plupart des pays, à l’exception du Japon

    Soutenabilité financière

    La soutenabilité financière n’est pas assurée :

    si les taux d’endettement public ou privé augmentent tendanciellement. Les graphiques 3a/b montrent que c’est le cas pour la dette publique dans tous les pays analysés sauf en Allemagne, que la dette privée augmente en Italie et en France ;

    Graphique 3a Dette publique (en % du PIB valeur)  & Graphique 3b Dette des ménages et des entreprises (en % du PIB valeur)
    • si à long terme les prix des actifs financiers ou immobiliers augmentent plus vite que les prix des biens et services.

    Les graphiques 3c/d montrent que la soutenabilité financière, en ce qui concerne les prix des actifs, n’est pas vérifiée aux États-Unis, au Japon, en Chine.

    Graphique 3c Ratio : indice boursier / CPI (100 en 2002:1) & Graphique 3d Ratio : prix des maisons / CPI
    (100 en 2002:1)

    Au total, la soutenabilité financière n’est pas obtenue dans la plupart des pays, sauf l’Allemagne.

    Synthèse : le Monde est loin d’assurer la soutenabilité globale

    Pour que le Monde assure sa soutenabilité globale, il faudrait :

    • une transition énergétique et environnementale rapide ;
    • la stabilité des inégalités de revenu, de patrimoine, de la pauvreté, l’arrêt de la dégradation des systèmes éducatifs et de santé ;
    • la stabilisation des taux d’endettement public et privé et des prix des actifs (relativement aux prix des biens).

    Aucune de ces conditions n’étant vérifiée, il faut conclure que la dynamique présente de l’économie mondiale n’est pas soutenable.

    Et il faut remarquer que les trois types de soutenabilité (environnementale, sociale, financière) doivent être satisfaits simultanément. Cela exclut par exemple de réaliser la transition énergétique en accroissant les inégalités de revenu (parce que les prix de l’énergie seront plus élevés et que le poids de l’énergie dans le revenu est d’autant plus élevé que le revenu est faible) ou les taux d’endettement public ou, parce que des taux d’intérêt réels très faibles seraient conservés, les inégalités de patrimoine.


    Patrick Artus, membre du Cercle des économistes et Conseiller économique de Natixis

    Contenu initialement publié sur le site de Natixis