Un événement du Cercle des économistes
Espace presse

Par Maya Bacache, membre associée du Cercle des économistes

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Que le progrès technique soit à la source de la croissance économique depuis le XIXe siècle ne fait pas débat ; que la recherche soir le secteur clef pour créer et imaginer des inventions d’aujourd’hui et des innovations de demain, ne fait pas non plus question ; que la recherche soit peut-être la clef de la réconciliation entre progrès technologique et enjeux environnementaux semble également une voie de convergence ; qu’une bonne articulation entre recherche privée et recherche publique soit nécessaire fait enfin consensus. En effet, le financement par la puissance publique de la recherche se justifie à la fois par les asymétries d’information sur le marché du financement des recherches, par les nombreuse externalités positives de la recherche faite dans un secteur sur l’ensemble du tissu économique, et également par l’importance du coût fixe de la recherche qui se double d’un aléa important dans le succès de ces recherches. Le financement privé permet, par ailleurs, de s’assurer que la demande et les anticipations du marché soient pris en compte, et d’éviter que des investissements publics massifs se fassent à perte ou dans la mauvaise direction technologique.

Malgré l’ensemble de ces points de consensus, malgré le fait que l’Europe et la France se soient engagées dans l’économie de la connaissance, l’absence de vaccin français a surpris la classe politique et les citoyens et a résonné comme un symbole du déclassement de notre R&D. Loin d’être anecdotique, ce « retard » français soulève des enjeux plus larges que la crise sanitaire ou que l’échec sur une recherche donnée, ici le vaccin. Faut-il accélérer la R&D pour maîtriser l’avenir et si oui comment ?

Les enjeux

On peut identifier trois types d’enjeu. Le premier porte sur le financement de la R&D : est-il satisfaisant, tant en terme de volume que de structure, et dans sa répartition entre soutien public et financement privé ? Est-ce le niveau de R&D, ou plutôt la qualité de la recherche qui pose question ? est-ce la R&D elle-même qu’il faut accélérer ou sa transformation en innovation, en produit, en marché, est-ce le soutien des politiques publiques en amont mais aussi en aval qui pèche ou qui est inefficace ? Sur cette première question, force est de constater que, en dépit des montants financiers et des dispositifs d’aides à l’innovation, les résultats sont déceptifs.

Le second enjeu porte sur l’articulation entre le financement de la R&D et les autres politiques publiques : les politiques de formation, politique industrielle, politique d’aménagement du territoire et attractivité, politique de la concurrence, conditions d’accès au financement des entreprises, soutien de la demande, inégalités et taxation etc. Il est certain que les montants de recherche ne suffisent pas et qu’il faut autre chose pour assurer un rythme d’innovations satisfaisant : de la concurrence, moins d’inégalités d’accès, de formation, une confiance aussi entre les différents acteurs, des chercheurs aux entreprises, aux financeurs, aux puissances publiques, un contexte institutionnel également. Or force est de constater que la dynamique de création destructrice pose question en France, et peut-être en Europe, où l’âge des entreprises est plus élevé qu’ailleurs et, l’avantage donné aux grandes entreprises en termes de commandes publiques ou de crédits d’impôt plus important.

Le ralentissement de la dynamique des entreprises depuis quelques décennies en Europe mais également aux Etats-Unis, doit être appréhendé en amont de travaux sur la R&D. Les théories de la croissance endogène et les recherches sur les déterminants de la R&D dans les entreprises permettent d’expliquer quelques-uns des faits stylisés : le ralentissement de la croissance de la productivité et la croissance de la part des profits dans le revenu national sont à lier avec un niveau de concentration accrue sur les marchés, une baisse de la dynamique d’entrée, et une augmentation de l’écart technologique entre firmes (voir Akcigit et Ates, Ten Facts on Declining Business Dynamism and Lessons from Endogenous Growth Theory, American Economic Journal: Macroeconomics 2021, 13(1): 257–298).  En particulier, la concurrence entre entreprises est clef pour comprendre les dynamiques de R&D et d’investissement : les entreprises investissent en R&D pour améliore leur productivité et ainsi gagner des parts de marché, voire devenir leader sur un marché oligopolistique et ainsi augmenter leur profit. Le ralentissement de la productivité est donc à analyser au regard du jeu concurrentiel, à l’importance de la concurrence sur les marchés, aux gains attendus à innover, et à l’écart technologique ou la diffusion de l’innovation entre entreprises en pointe et entreprises en retard.

Enfin, repenser la R&D et plus largement renouveler la politique industrielle n’est pas simple en termes d’arbitrage au regard d’autres objectifs. Comment le faire sans tomber dans un souverainisme fermé, dans un protectionnisme ou une intrusion des grandes entreprises ou de l’Etat dans la liberté d’innover ? Comment aussi articuler politique de l’innovation aux autres enjeux comme la protection de l’environnement ou les réductions des inégalités ? Soutenir sans réserve le progrès technique n’est plus possible, il faut le justifier en termes de bien-être qui ne se réduit plus à une mesure simple du revenu moyen. Maitriser l’avenir passera nécessairement par le débat politique et la convergence démocratique autour de l’objectif recherché.

Quelques données pour cadrer le débat

Les dépenses intérieures de recherche et développement (DIRD), se décomposent en dépenses privées, (DIRDE) et publiques des administrations (DIRDA). Le montant total de DIRD est de l’ordre de 50 milliards d’euros soit près de 2,26 % du PIB, derrière l’Allemagne (2,88 %) ou les États-Unis (2,87 %) (Voir Figure 1). En France, le montant des dépenses publiques en R&D s’élève à un peu plus de 10 milliards d’euros par an et se décline en dispositifs nationaux, d’aides régionales, ou programmes européens. Cette abondance n’est pour autant pas synonyme d’efficacité, les programmes peuvent être redondants ou contradictoires en tous cas se pose la question de leur cohérence en tous cas de celles des objectifs poursuivis. Crédit Impôt Recherche, pôles de compétitivité, jeunes entreprises innovantes, les programmes existent mais leur évaluation économique reste à convaincre. La Commission européenne propose, l’Innovation Union Scoreboard, un indicateur synthétique de 25 indicateurs pour mesurer le volume et la qualité de la R&D et classe les pays en 4 groupes, le groupe des leaders en termes d’innovation (le Danemark, la Finlande, le Luxembourg et les Pays-Bas) et la France fait partie du second groupe où l’innovation est forte mais pas de même ampleur (Voie la figure 2 extraite du dernier rapport 2020).

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